C’est un livre qui date carrément ( la peine de mort n’avait pas encore été annulée, par exemple ) mais très instructif pour se replonger dans des principes de base. Je ne connais rien personnellement l’aspect proprement juridique de cette notion de légitime défense. Mais préciser les termes, d’un point de vue philosophique, est instructif. C’est un petit topo qui peut vous donner quelques munitions lors d’un débat.( ou lors d’une agression, ce que je ne vous souhaite pas, bien sûr ; mais au moment fatidique, on peut être paralysé de façon perverse à cause de scrupules imbéciles).
« Plaidoyer pour la légitime défense »
François Romério, Editions du Dauphin, Paris 1979. ( Bio. Express : : Après avoir accompli une grande partie de sa carrière de Magistrat en Indochine, comme juge puis Procureur de la République, F. Romério, fut de 1950 à 1954 Président de la cour d’Assise de Douai, puis de 1954 à 1962 de celle d’Aix-en Provence.
En 1965, le Général de Gaulle le nomme Premier Président de la cour de Sûreté de l’Etat. Il le restera jusqu ‘en 1975 avant de devenir Conseiller à la Cour de Cassation.
Il crée en 1978 l’association « Légitime Défense » qui n’existe plus.)
Définition de la légitime défense : « La légitime défense présente donc cette particularité d’être pour la victime, un état de liberté totale, de liberté anarchique, où plus rien ne la protège, où elle ne peut compter que sur elle seule, où il faut qu’elle prenne, en une fraction de seconde, une décision qui peut engager toute sa vie. » (P19)
« Albert Camus écrit : « Je défendrais ma mère avant la justice » ; Soljenitsyne : « Il s’agissait là d’un élémentaire sentiment de méfiance remontant des profondeurs des cavernes : si je l’épargne, c’est lui qui me tuera. Et le bâtonnier Bouzat…. : « La légitime défense, c’est presque toujours quelque chose de viscéral. Quand la peur nous empoigne, rien ne peut nous empêcher de tirer, et très souvent on a eu raison de tirer immédiatement, sans quoi on aurait été tué » (P20).
« La légitime défense est un droit et souvent un devoir moral, car elle s ‘applique également à la défense d’autrui »
Ce droit et ce devoir doivent donc pouvoir s’exercer avec la protection de la loi. Or, actuellement, il y a une remise en cause de la légitime défense qui a toujours existé dans les mœurs. « …on est tellement entré dans cette voie pseudo-humanitaire qu’on en arrive à protéger les malfaiteurs. » (P21)
« La légitime défense n’est pas un moyen de rendre la justice. » (P21). Il ne s’agit pas d’exercer une justice privée mais d’exercer son instinct de conservation.
Le fondement juridique des textes sur la légitime défense, articles 328 et 329 du Code Pénal :
Article 328 du Code pénal
« Il n’y a ni crime, ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime de soi-même et d’autrui »
Article 329 du Code pénal
Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de défense les deux cas suivants :
1° Si l’homicide a été commis, si les blessures ont été faites, ou si les coups ont été portés, en repoussant, pendant la nuit, l’escalade ou l’effraction des clôtures, murs ou entrée d’une maison ou d’un appartement habités ou de leurs dépendances .
2° Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence .
Lorsque l’Etat, représenté par sa police tue ou blesse pour s’opposer à des bandits, il est bien entendu qu’il n’est pas punissable. Lorsque l’Etat, c’est à dire la police n’est pas présente pour s’opposer à des bandits, l’agressé devra se défendre seul. « Dans ce cas, et dans ce cas seulement, je (=l’Etat) lui délègue mes pouvoirs de police »(P24).
(Bien relire le n°2 de l’art.329 : ça n’est pas que la nuit, en défendant sa maison ou son commerce que l’on est en état de légitime défense, comme on le pense trop souvent.)
« Il est absolument inexact qu’un texte quelconque exige, pour qu’il y ait légitime défense, que la défense soit proportionnée à l’attaque. »
La notion de proportionnalité qui est introduite dans les textes pervertit complètement le sens de la légitime défense.
Cette notion de proportionnalité n’est pas tenable pour deux raisons : d’une part, pour une question de dignité. On ne peut pas mettre sur le même plan le voyou qui agresse et l’honnête homme qui se défend . d’autre part, « la proportion est un élément subjectif laissé à l’arbitraire du juge. »(P26) et cet argument de l’arbitraire du juge qui pourrait se concevoir ne tient pas face à ce troisième argument donné par le législateur lui-même : « le législateur a donné à l’honnête homme agressé le droit de se défendre. Pourquoi ? pour qu’il soit victorieux. Si l’on dit à quelqu’un : « Défendez-vous, mais soyez battu » cela ne veut rien dire. » (P26)
« Celui qui agit en état de légitime défense n’est pas un justicier. Il n’a pas à rendre la justice. On parle de loi du talion, il n’en est rien. Pour une bonne raison, c’est que la loi du talion postule la proportionnalité et que nous, nous l’avons vu, ne l’acceptons pas. » (P44)
« Il y a en droit, une théorie du risque accepté, qui ne permet pas d’infliger des sanctions pénales ».
La théorie du risque accepté concerne, vous le comprenez aisément, le bandit. Si par exemple vous piégez votre maison et que le voleur se fait tuer dans un piège, vous n’êtes en rien coupable de quoi que ce soit, en regard de la loi ( et même en conscience doit-on ajouter).Le malfaiteur doit assumer une prise de risque lors qu’il commet ses méfaits. « Il n’a pas à commettre des actes qui sont des crimes ou des délits contre moi par manque d’humanité, je vais lui en tenir compte pour me défendre. A un individu inhumain doivent répondre des actes inhumains. »(P30)
Distinction entre légitime défense et autodéfense
La légitime défense est une forme d’autodéfense puisque qu’au sens étymologique, l ‘autodéfense c’est la défense de soi-même.
Mais dans le langage courant, l’autodéfense est la défense préventive exercée par un groupe armé qui n’appartient pas à la police.
Ceci peut se concevoir et être admis dans les cas où il n’y a pas de police. « …l’autodéfense n’est pas prohibée par la loi, mais elle doit éviter de se substituer à la police car cela , la loi l’interdit, non pas en tant qu’autodéfense, mais en tant qu’usurpation de fonction. » (P38)
« On ne peut pas se substituer à la police ou à la justice, à une exception près, qui est justement celle de la légitime défense. Parce que là, il y a une véritable délégation de la loi. La loi se rend compte qu’elle se trouve devant un obstacle qu’elle ne peut pas surmonter. » (P43)
Comment juger ? contestation de la notion de légitime défense par les juges et magistrats qui s’efforcent de « rétrécir le domaine d’application de la légitime défense….Celui qui repousse par la force une agression injuste, non seulement est irréprochable du point de vue moral, mais rend service à la société. Tels ont été les principes en matière de légitime défense, jusqu’à ce que des esprits contestataires viennent systématiquement contester l’usage de la légitime défense, en donnant la préférence aux agresseurs et non aux agressés. » (P49)
La victime ( les aberrations évoquées ont peut-être évoluées : si quelqu’un connaît son droit pénal, c’est le moment de rectifier )
« La victime d’un crime est plus victime que la victime d’une guerre parce que si dans une guerre , les combats sont atroces, ils sont exempts de férocité. C’est le mal mis en action. » (P60)
Première aberration : les victimes, contrairement aux agresseurs, doivent payer pour avoir accès à leur dossier.
Deuxième : si l’accusé veut faire citer des témoins et qu’il n’a pas les moyens financiers de les faire venir, la Justice s’en chargera. La victime, elle devra payer toute seule la citation de ses témoins.
« …la victime » est « non seulement victime de son agresseur mais victime du procès pénal.. » (P66)
« Il faut , en résumé rendre la loi égale pour toutes les parties du procès pénal. » (P69)
La notion de vengeance ( ce passage m’a intéressée car j’ai repensé à ce chapitre de « Villa Vortex où Kernal et Mazarin vont se faire justice avant de mourir d’ailleurs. Et puis, à la dernière partie d’Artefact, bien sûr.)
« La famille d’une victime, je dois le dire très nettement, comme je l’ai constaté, cherche à se venger….Et la vengeance est un sentiment humain. On marque ce sentiment du sceau de l’infâmie, ce qui est excessif. Quel est celui qui pardonne tout de suite un crime commis contre sa famille ? Cela n’existe pas…
Un officier qui emmène ses troupes à l’assaut les exhorte et leur dit : « Les gars, nous allons venger nos copains ». Cela les stimule…Le désir de vengeance est un facteur d’énergie. »
« Par conséquent, je ne considère pas, contrairement à certains penseurs officiels, que la vengeance est un sentiment vil. C’est un sentiment humain qu’il faut savoir, bien entendu, discipliner, qu’il faut même essayer de raisonner et qui s’atténue, en fait, avec le temps. »
(Chapitre sur l’association « Légitime Défense » créée par l’auteur, et qui a disparu, semble t-il aujourd’hui. Je ne m’attarde pas sur ce chapitre, ce qui m’intéresse ce sont les principes, les notions et ce que recouvre les termes de « légitime défense ».)
Autre notion intéressante abordée par l’auteur : la correctionnalisation.
Le vol simple, c’est un délit passible de correctionnelle. Mais, si ce vol est commis avec des armes, apparentes ou cachées, cela devient un crime.
Certains magistrats….pour minimiser le vol avec armes, c’est à dire pour en faire un simple délit ( puni correctionnellement) décomposent l’infraction :
Premièrement : vol ; deuxièmement : port d’arme prohibée.
La peine, pour vol simple est minime. La peine, pour port d’arme prohibée, est minime aussi. » (P100-101)
C’est l’union des deux qui forge le crime. Si l’on dissocie les deux éléments, on « correctionnalise. »
Remise de peines et permissions
« Actuellement, par un souci d’humanité, à mon avis très mal placé, le législateur a prévu que, dans certains cas, on pourrait accorder une libération anticipée ou des permissions de sortie à des condamnés. Mais il a pris soin d’indiquer les précautions nécessaires pour que ces individus qui, par hypothèse, sont encore dangereux, puisqu’ils n’ont pas terminé leur peine, ne puissent pas nuire à la société. » (P112)
Article de la libération conditionnelle : article 729 du Code Pénal.
« Que l’on ne me dise pas que l’on remet en liberté des gens qui ont donné des preuves de réadaptation. Ils ne peuvent pas en avoir donné puisqu’ils sont en prison. »
« J’ai la même position pour ce qui est des permissions ou libérations anticipées. Et pour les mêmes raisons. » (P113)
Peine de mort ( débat qui n’a plus lieu aujourd’hui mais les arguments invoqués sont assez percutants)
« On dit que la peine de mort est un meurtre avec préméditation. C’est faux. L’exécution capitale n’est pas un meurtre. C’est un acte de défense sociale, comme le fait de tirer sur un ennemi en cas de guerre est un acte de défense nationale. C’est la légitime défense sociale. » (P120)
Peine de mort et religion catholique.
« La religion chrétienne est fondée sur une exécution capitale : celle du Christ. Le Christ est l’incarnation de Dieu venu sur terre pour racheter les péchés des hommes. Donc, la condamnation du Christ n’est pas une erreur judiciaire, puisque lui-même a dit : « Les péchés du monde, je les prends à ma charge, le coupable c’est moi. » Pour expier les péchés du monde, Dieu a estimé qu’il n’y a qu’une seule peine : la peine capitale. » (P121)
Caractère dissuasif de la peine de mort.
« Il est très rare qu’un homme condamné à mort, dont la peine a été commuée, et qui a été libéré, commette un autre crime. C’est parce que la peine de mort existe. » (P123)
Exemplarité de la peine de mort.
« La peine de mort est-elle exemplaire ? Moi qui suis de bonne foi, je dis : « je n’en sais rien ». Seulement, si elle est exemplaire et qu’on la supprime, il y aura un plus grand nombre de victimes. Si elle n’est pas exemplaire et qu’on la maintienne, on guillotinera des criminels pour rien. J’aime mieux que ce soit les criminels qui prennent le risque plutôt que les honnêtes gens. » (P124)
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