mardi 28 juillet 2009

"Qu'est-ce que l'Occident?" de Philippe Nemo (éditions PUF)



Introduction
« Aujourd’hui, de même, les crises géopolitiques de l’aube du XIXe siècle ébranlent une réalité que nous sentons essentielle à nos existences, mais dont nous n’avons pas une conscience suffisamment nette. »
Qu’est- ce que l’Occident ? Cette civilisation ou culture a t-elle des valeurs et des institutions communes ?
Cinq événements majeurs expliquent l’émergence de cette civilisation Occidentale : L’invention de la Cité, l’invention du droit, la révolution éthique et eschatologique de la Bible, la « Révolution papale » des XIe-XIIIe siècles, la promotion de la démocratie libérale.

Chapitre 1
Le « miracle grec » : la Cité, la science

1/« La cité grecque » est née à la faveur d’une catastrophe et 2 /L’égalité des citoyens et la liberté sous la loi
La Cité grecque naît vers 1200 avant JC, lors de la destruction des monarchies centralisées et l’apparition de l’agora, espace public où l’ordre social apparaît, par la discussion des lois régissant la Cité. C’est le gouvernement par les lois et non plus par un roi.
3/ La science et 4/ L’école
« » Il devient possible d’envisager des théories pour comprendre l’ordre naturel. »(comme on travaille sur l’ordre social). Avec la recherche scientifique, naît l’école. (apprentissage des sciences)

Chapitre 2

L’apport romain : le droit privé, l’humanisme



1/ L’invention d’un droit universel dans l’état romain pluri-ethnique
« Les grecs avaient inventé le « gouvernement de la loi ». Mais ils n’avaient pas poussé très loin l’élaboration du droit. » Ce sont les romains, obligés de diriger un immense empire qui vont développer tout un vocabulaire juridique, de plus en plus abstrait, applicable et compréhensible partout.
2/ Le droit privé romain, source de l’humanisme occidental
"Ce droit romain, en définissant la propriété privée, est à l’origine de la notion de personne humaine individuelle, libre et singulière (... ) Le droit romain est, de ce fait, la source de l’humanisme occidental. »
3/ Le personnalisme de la littérature et de la sculpture latine.
« On trouve des indices nombreux de cette véritable métamorphose de civilisation dans la littérature et l’art romains. », qui se distinguent très nettement de la littérature et l’art grec, encore très « collectivistes »

Chapitre 3
L’éthique et l’eschatologie biblique

"C’est parce que dans la civilisation Occidentale s’intègre la morale judéo-chrétienne, qui se rebelle contre la normalité du mal, que cette dernière observe une dynamique de progrès."
1/ l’éthique biblique
« La morale biblique est essentiellement une morale de compassion et cette morale consiste non seulement à ne pas accepter comme normales les souffrances du monde mais en plus à s’en sentir responsable quand bien même on ne les a pas personnellement provoquées. (…) L’homme est un être inquiet, un irrequietum cor, comme dit saint Augustin. Car le combat contre le mal ne consiste pas tant à apporter des solutions nouvelles aux problèmes qui se posent qu’à voir des problèmes et des anomalies là où l’on ne voyait que la nature éternelle des choses . (…) Ainsi la blessure de l’amour est-elle grosse d’une cascade de transformations historiques. »
2/ L’eschatologie biblique
Il s’agit, avec l’eschatologie biblique, de penser le monde comme Histoire. L’homme doit être un saint c’est à dire que le salut dépend de son action dans le monde.

Chapitre 4

La « Révolution papale » des XIe-XIIIe siècles

1/ La révolution papale
« Ce qui va orienter dans un sens pacifique et rationnel le programme biblique d’agir dans l’histoire, c’est en effet une nouvelle »vision du monde » forgée au cœur du Moyen-Âge européen, du XIe au XIIIe siècle, à l’instigation de l’Eglise romaine. » : la Révolution papale, instaurée, par le pape Grégoire VII, qui va ordonner l’étude du droit antique romain pour créer un nouveau droit canonique : ce dernier aboutit à la fois à « christianiser » le dur droit romain et à « juridiser » c’est à dire à rendre un peu plus praticable l’invivable morale chrétienne.
2/ Les nouvelles conditions de la parousie
" Pourquoi les hommes de la « révolution papale » ont-ils éprouvé le besoin de changer de "vision du monde" ?" Ils ont eu le sentiment qu’il fallait d’urgence rechristianiser le monde afin de rendre l’humanité capable d’atteindre ses fins éthiques et eschatologiques.
3/ La doctrine anselmienne de l’expiation et le purgatoire
Cette volonté d’agir sur le monde a été presque rendue impossible par la théologie augustinienne, dominante dans le christianisme occidental du haut Moyen-Âge. Selon cette doctrine, l’action humaine n’a aucune valeur. La doctrine de Saint Anselme, au contraire, traduisait que "de l’expiation résultait implicitement un changement de perspective quant à la valeur de l’action humaine. Si « le péché originel » a été intégralement racheté, il ne reste plus alors à chaque homme qu’à racheter les « péchés actuels » accomplis pendant sa propre vie et dont il est individuellement responsable. (…) Avec ces innovations théologiques, l’homme fait donc irruption sur le devant de la scène. "
4/ Le salut, entreprise humaine. Le Christ médiateur et 5/ Le Grand Inquisiteur
Distinction entre le protestantisme, très proche de ce catholicisme révolutionnaire, alors que l’orthodoxie russe s’en éloigne complètement :
« Les théologiens orthodoxes interprétèrent l’attachement des Occidentaux à l’action temporelle comme le signe qu’ils renonçaient purement et simplement à la dimension surnaturelle de la vie. »[cf le Grand Inquisiteur chez Dostoïevski dans les « Frères Karamazov »]
6/ La sanctification de la raison : la science grecque et le droit romain mis au service de l’éthique et de l’eschatologie bibliques
« Le salut va donc devenir une entreprise rationnelle.(…) User de la raison dans la science et le droit va donc désormais devenir pour l’homme occidental un devoir sacré.(…) La raison est sanctifiée. »
« La civilisation sera désormais une synthèse entre « Athènes », « Rome » et « Jérusalem » : les raisons scientifique et juridique seront mises au service de l’éthique et de l’eschatologie bibliques, la foi se choisira comme moyen l’épanouissement de la nature humaine rationnelle. »
7/ Cause formelle et cause matérielle : la question de la transmission des textes
« Aussi le renouveau du droit et de la science ne doit-il pas être interprété comme un fait contingent résultant de la découverte fortuite de certains textes. Le fait nouveau n’est pas matériel, mais intellectuel. Il est que des textes qui étaient disponibles depuis longtemps étaient maintenant perçus comme utiles et pourvus de sens. »

Chapitre 5
L’avènement des démocraties libérales

« Le cinquième événement ou « miracle » nous est plus familier. Il se confond avec les grandes réformes libérales et démocratiques qui ont fini de donner son visage propre au monde occidental… (…) Elles ont promu un nouveau modèle d’organisation des activités humaines : l’ordre spontané de société ou ordre par le pluralisme.(…) les grandes révolutions démocratiques ont ainsi promu en doctrine et en pratique le libéralisme intellectuel, la démocratie, le libéralisme économique… . »
1/ Le libéralisme intellectuel:
« Ils sont partis du constat que la raison et la connaissance humaines sont fondamentalement limitées et faillibles.(…) … la liberté de penser et de critiquer permet de remédier à la limitation intrinsèque de la raison humaine. »
2/ La démocratie:
« La conviction que la raison est faillible permet, comme dans le libéralisme intellectuel, une forme de fécondité en matière de gouvernance : « Il est faux que, comme le prétendaient les théories monarchiques depuis l’Antiquité, certains hommes, élus des dieux, possèdent la science nécessaire pour gouverner seuls et sans contrôle. Pour que la solution démocratique s’imposât aux esprits les plus réfléchis, il a donc fallu que disparût d’Europe tout reste de culte monarchique…(…) Or, nous pensons que cette désacralisation du pouvoir en Europe a été le fruit du judéo-christianisme ; que le concept même de laïcité vient de la Bible… »
3/ Le libéralisme économique:
« Pour des hommes animés de l’éthique biblique, cependant, la liberté de penser et la liberté politique ne sont que des moyens. Car améliorer le monde, cela implique, en définitive, de donner du pain à ceux qui ont faim…. Ce fut l’économie de marché. »
4/ L’ordre auto-organisé et ses adversaires:
« Les adversaires de la démocratie libérale se séparèrent en deux groupes. Ceux qui croyaient à la supériorité des ordres naturels furent à l’origine des familles de pensée qu’on appelle la droite. Ceux qui croyaient à la supériorité des ordres artificiels … furent à l’origine de la gauche.(…) Naturellement, réactionnaires et révolutionnaires se combattirent aussi les uns les autres, de sorte que l’on ne compris pas facilement que leurs similitudes étaient plus profondes que leurs oppositions.(…) La lutte des deux « blocs », elle, aura eu le mérite de durer assez longtemps pour que soit démontrée de façon éclatante la supériorité de l’économie de marché sur le socialisme réel. »

Chapitre 6

Un aspect universel de la culture occidentale



Friedrich August Hayek a bien développé ce fait qui s’est manifesté en Occident :
« Une humanité plus savante peut tirer d’un même environnement naturel une production supérieure. »
1/ Démocratie libérale, division du savoir et productivité
« La possibilité pour une société d’augmenter son savoir en divisant son travail est donc strictement liée à sa capacité à organiser les échanges, c’est à dire à maintenir son lien social (…) L’échange, en effet, suppose des règles de juste conduite morales et juridiques… »
« Le droit et les prix abstraits sont ainsi, dit Hayek, de véritables systèmes de « télécommunication » rendant possible une organisation des échanges à très grande distance. »
[Cette coopération à plus grande distance procure une division exponentielle du savoir et donc une augmentation des connaissances.]
2/ L’explosion démographique et sa signification
« Le premier effet de l’augmentation de la production due à la mise en place du marché a été l’explosion démographique. (…) Les intellectuels de gauche et de droite, à partir, de la moitié du XIXe siècle, ont accusé le capitalisme d’avoir appauvri les hommes. Ce fut une tragique illusion d’optique. En effet, le capitalisme n’a pas appauvri les hommes, il a –dans une première phase- multiplié les pauvres.(…) Cependant, il ne s’agissait pas de gens qui auraient été appauvris après avoir été riches. Il s’agissait de gens en vie qui, auparavant, auraient été morts ou, plus exactement, ne seraient pas nés.(…) Très vite, au cours du XIXe siècle, les nouveaux progrès de productivité seront utilisés à vivre mieux à population plus faiblement croissante, jusqu’à l’époque des « Trente Glorieuses » où la quasi-intégralité des progrès de la production économique ont passé en élévation du niveau de vie à population stabilisée. »
3/ Valeur universelle de la société de droit et de marché
« Les habitants des pays non occidentaux sont donc, qu’ils le veuillent ou non, condamnés à vivre désormais dans une civilisation technique qui est d’origine occidentale, et qui ne se maintient que parce qu’il existe une économie mondialisée fonctionnant avec des institutions juridiques, économiques et monétaires internationales qui portent elles-mêmes la marque de l’Occident.
Nous voyons que les civilisations non occidentales qui se développent le font toutes en s’occidentalisant à quelque degré. »

Chapitre 7
Pour une Union occidentale

1/ Les frontières de l’Occident
«L’Occident. - Les sociétés qui ont connu les cinq événements sont l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord. Mais il faut préciser.(…) Dans toutes ces sociétés, nous pensons que les traits civilisationnels communs l’emportent en importance sur les diversités régionales…. Il n’existe certainement pas une identité européenne opposable à une identité américaine. Des différences existent, certes, mais il est clair qu’elles sont aussi fortes parmi les pays européens qu’entre l’Amérique et l’Europe.
(…)
Les pays proches de l’Occident. -Certains pays sont « proches » de l’Occident sans être membres à part entière. Ce sont ceux qui n’ont pas connu un ou deux des cinq événements –à savoir, les pays de l’Europe centrale, de l’Amérique latine, du monde orthodoxe et, pour d’autres raisons, Israël.
(…)
-La situation de l’Amérique latine est similaire, mais son évolution est plus difficile à cerner. Les pays qui composent cette région du monde ont tous été créés par l’Espagne ou le Portugal, mais à un moment où ces derniers pays n’avaient encore connu que quatre des cinq événements. Ils ont expérimenté, depuis lors, des révolutions et changement constitutionnels allant dans le sens de la démocratie libérale, mais avec des réussites disparates.
(…)
-Les pays orthodoxes, Russie et Balkans, qui sont, certes, tout à la fois grecs, romains et chrétiens, n’ont cependant pas connu la Révolution papale. L’évolution que nous avons analysée des sociétés chrétiennes occidentales sous l’influence de celle-ci – à savoir, la laïcisation, le développement de l’Etat de droit, la rationalisation des mentalités- n’a pas eu lieu chez eux au même rythme et au même degré qu’en Europe occidentale.
(…)
-Le cas d’Israël est spécial, puisqu’on ne peut penser le statut géopolitique de l’Etat d’Israël sans considérer la situation générale des juifs dans le monde. Les juifs vivant dans les pays occidentaux sont évidemment des Occidentaux.
(…)
Le monde arabo-musulman. – Le monde arabo-musulman ne touche à l’Occident que par la Bible. C’est évidemment beaucoup. Mais le fondateur de l’islam a transformé en profondeur l’éthique et l’eschatologie reçues du judaïsme et du christianisme.(…) Mais on ne peut que constater que la science ne s’est acclimatée durablement dans aucune société musulmane . Il faut bien qu’il y ait eu à cela des raisons profondes tenant à la structure des mentalités et des représentations du monde imposées par la religion.
(…)
Les autres civilisations. –Enfin sont extérieurs à l’Occident les pays totalement étrangers aux cinq événements avant les dernières décennies, c’est à dire les mondes océanien, africain, indien, chinois et japonais, si ce n’est dans la mesure où ils ont adopté la civilisation technique –mesure difficile à préciser, comme nous l’avons vu. Mais il est vrai qu ‘en ce qui concerne le Sud-Est asiatique développé, et spécialement le Japon, Hong-Kong, la Corée du Sud ou Taiwan, et, déjà, bien des zones de la Chine continentale, cette adoption ne fait aucun doute. »
2/ L’extension des frontières. La question de l’éducation
« Ce n’est pas un hasard si les régions que j’ai identifiées comme occidentales le sont. C’est que, dans tous et chacun de ces pays, il y a eu un appareil éducatif qui a formé pendant des siècles les jeunesses aux idéaux, valeurs, normes et institutions de l’Occident.(…) Il est faux, en particulier, que les relations de marché, par elles seules et automatiquement, suffisent à bâtir une culture commune. Si Hayek a eu raison de dire qu’elles sont le premier lien social, et souvent le seul entre les hommes appartenant à des sociétés différentes, il a peut-être sous-estimé le fait que ce lien reste occasionnel et fragile aussi longtemps que des liens d’un autre type ne sont pas tissés, ce qui requiert des efforts sui generis.
3/ L’union occidentale
« … on peut se demander s’il ne conviendrait pas de mettre sur pied une forme politique commune des pays occidentaux qui correspondrait à leur forme culturelle d’ores et déjà commune –autrement dit, une entité politique qui incarnerait l’identité occidentale et rendrait manifeste aux yeux de ses habitants qu’ils sont membres d’une même communauté.(…) A cet égard, deux fausses bonnes idées ont été mises en œuvre ou projetées jusqu’à présent ; l’Union européenne et l’Empire américain. [idées erronées car] l’Union européenne, en envisageant de s’élargir à des pays non occidentaux et en n’envisageant pas de se rapprocher des pays de l’Atlantique dont elle partage la culture ; l’Empire américain, en visant d’une certaine façon à l’unité du monde occidental tout entier, mais sous la forme du leadership d’une puissance dominante considérant les autres comme des satellites.
(…)
A ces deux fausses bonnes idées il convient donc d’opposer le seul concept exprimant la réalité objective des choses, celui d’une Union occidentale qui réunirait l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et les autres pays occidentaux cités plus haut…. Ce devrait être une confédération, c’est à dire un espace institutionnalisé de concertation et de coordination, une libre République de pays égaux en droits.
(…)
Cette communauté n’aurait, cela va sans dire, aucune attitude a priori hostile à l’égard des autres civilisations et pays du monde…. Sachant ce qu’elle doit défendre et avec qui elle peut le défendre, elle assumerait sereinement la responsabilité d’avoir des frontières.

Conclusion
« Pour qu’un dialogue entre les civilisations aboutisse réellement « il faudra rien de moins que des hommes inspirés qui, semblables aux auteurs des « sauts »culturels dont nous avons parlé dans cet ouvrage, forgeront des schémas de pensée nouveaux capables de dépasser l’étroitesse des points de vue des protagonistes tout en rendant justice à la vérité profonde aperçue par chacun d’eux, un peu à la manière dont la physique quantique dépasse les théories corpusculaire et ondulatoire de la lumière en donnant raison, sous un certain angle, à l’une comme à l’autre. Peut-être quelque génie saura t-il un jour, par exemple, analyser la vie économique de telle manière que soit rendue justice à la fois à la logique de la liberté et de la concurrence mise en relief par l’Occident et à la logique du vivre-ensemble et du consensus prévalant dans les sociétés confucéennes.
Mais pour que le dialogue débouche sur ces nouveaux univers, il faut qu’il soit mené en vérité, et pour cela que chacun y soit authentiquement lui-même. »

mardi 14 juillet 2009

Caritas in Veritate


L’Encyclique en français :

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20090629_caritas-in-veritate_fr.html

Le commentaire en anglais du Père Robert Sirico :

http://blog.acton.org/archives/11162-caritas-in-veritate-the-pope-on-love-in-truth.html

(Paru dans le Wall Street Journal du 13 juillet 2009)


Le père Sirico est le président et co-fondateur de Acton Institute

http://www.acton.org/about/index.php

Le commentaire du Père Sirico traduit par mes soins :


Si certains voient des erreurs grossières de traduction, qu'ils n'hésitent pas à me les signaler, j'ai un niveau de classe de 3ème en anglais et je n'avais personne ces jours-ci pour m'aider.Merci.


"Dans sa troisième encyclique très attendue, Caritas in veritate (L’amour dans la vérité), le Pape Benoît XVI ne s’attache pas à des systèmes économiques spécifiques - il ne tente pas d'étayer l'ordre du jour politique. Il se concentre plutôt sur la morale et le fondement théologique de la culture. Le contexte est bien sûr celui de la crise économique mondiale - une crise qui a pris place dans un vide moral, où l'amour de la vérité a été abandonné au profit d'un matérialisme brut. Le pape demande que cette crise devienne « une occasion de discernement, dans laquelle dessiner une nouvelle vision pour l'avenir. »

Son encyclique ne contient rien non plus à propos d'une troisième voie entre le libre marché et le socialisme. Les termes de cupidité et capitalisme n’apparaissent pas, comme dans les titres de presse annonçant la publication de l'encyclique, cette semaine. Les personnes à la recherche d'un schéma directeur pour la politique de restructuration de l'économie mondiale ne le trouveront pas ici. Mais s’ils utilisent ce document comme un moyen pour une reconstruction morale des cultures du monde et des sociétés, reconstruction à même d’influencer à son tour les événements économiques, ils trouveront beaucoup à réfléchir.

Amour dans la vérité est une réhabilitation de vieilles vérités négligemment rejetées à l'époque moderne. Le pape pointe un sentier négligé par tous les discours économiques, à savoir une vision générale de la vérité empreinte de charité.

Benoît XVI attribue à juste titre la crise elle-même à une « mauvaise gestion et à des opérations financières largement spéculatives. » Mais il résiste à la mode actuelle d’accabler de tous maux de la terre l'économie de marché. « L'Eglise, écrit-il, a toujours tenu à dire que l'action économique ne doit pas être considérée comme quelque chose d'opposé à la société. » De plus : « La société ne doit pas se protéger du marché, comme si le développement de ce dernier comportait ipso facto l’extinction des relations authentiquement humaines. »

« Il est certainement vrai que le marché peut être orienté de façon négative, non parce que c’est là sa nature, mais parce qu’une certaine idéologie peut l’orienter en ce sens. Il ne faut pas oublier que le marché n’existe pas à l’état pur. Il tire sa forme des configurations culturelles qui le caractérisent et l’orientent. En effet, l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal utilisées quand celui qui les gère n’a comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux mêmes en instruments nuisibles. Mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces conséquences, non l’instrument lui-même. C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale. »


Le pape ne rejette pas la mondialisation: « une opposition aveugle serait une position erronée et partiale, incapable de reconnaître les aspects positifs du processus, avec le risque de ne pas profiter de nombreuses opportunités de développement. » Le pape dit que « le monde ouvert à la prospérité ne doit pas être enfermé par les projets de nature protectionniste ». De plus, pour le moins, le commerce est nécessaire : « la meilleure forme d’aide aux pays en voie de développement est de permettre et d'encourager l’intégration progressive de leurs produits sur les marchés internationaux. »

L'encyclique n’attaque pas le capitalisme et ne propose pas des modèles économiques à adopter par les pays. Le pape déclare fermement que « L'Eglise n'a pas de solutions techniques à offrir » et ne prétend pas « interférer en aucune façon dans la politique des Etats. Elle a, cependant, une mission à accomplir au nom de la vérité, par delà les époques et les circonstances. »

Benoît XVI est profondément conscient du fait que la science économique a beaucoup à apporter au bien-être de l’Homme. Le rôle de l’Eglise n’est pas de développer un chemin précis mais de pointer du doigt les finalités. « La science économique nous dit qu’une insécurité structurelle génère des attitudes anti-productives de gaspillage des ressources humaines… Les coûts humain comprennent toujours des coûts économiques, et les dysfonctionnements économiques impliquent toujours des coûts humains ».

Le Pape revient constamment à deux applications pratiques du principe de la vérité dans la charité. Tout d'abord, ce principe va au-delà des exigences concrètes de la justice, il définit les droits et devoirs, et présente les priorités essentielles d’une morale de générosité, de miséricorde et de communion - les priorités emplies de la valeur théologique du salut. Deuxièmement, la vérité dans la charité est toujours axée sur le bien commun, défini comme une extension du bien des personnes qui vivent dans la société et qui assument des responsabilités sociales. En ce qui concerne les questions démographiques, il ne peut être plus clair : « Expliquer que l'accroissement de la population est la principale cause de sous-développement est erroné, même d'un point de vue économique. »

Plusieurs commentateurs s'inquiètent de ses fréquents appels à la redistribution des richesses. Benoît XVI inclut le rôle de l'État, mais il dit surtout que cette nécessaire redistribution des richesses doit s’effectuer par un échange volontaire et mutuel. Pour comprendre tous ces passages entièrement et exactement, il nous faut mettre à plat nos préjugés politiques.

Cette encyclique est une version théologique par rapport à l’effort philosophique de son prédécesseur pour ancrer une économie libre dans une base éthique. Beaucoup de positions sont empreintes d’une longue tradition "libérale classique", centrée sur le fondement moral de l'économie, issue de St. Thomas d’ Aquin et ses disciples, Frédéric Bastiat au 19ème siècle, Wilhelm Röpke, et même le laïc F.A. Hayek au 20ème siècle. Elle est également un écho de la pensée démocratique de l’Europe chrétienne.

Amour dans la vérité rappelle que nous ne pouvons comprendre la communauté humaine, si nous ne comprenons pas que cette dernière est quelque chose de supérieur à la somme de ses parties matérielles, si nous ne comprenons pas la capacité de l’homme à pécher, et si nous ne comprenons pas que cette communion est enracinée dans le don gratuit de la grâce de Dieu. Autrement dit, pour notre pape, il n'y a pas de justice ou de morale sans des personnes justes et morales."


dimanche 12 juillet 2009

Philosopher


« La clairière ne marque rien de plus qu’une halte temporaire car, de nouveau, nous devons pénétrer dans le haut massif de bois sombres qui se tient devant nous et avale la douceur de cette lumière qui n’aura donc été, lueur frôlant les sables mouvants plutôt que le seuil véritable, que l’entre-deux trompeur, l’orangeraie qu’évoque Yves Bonnefoy, où l’on peut se retenir afin de puiser de nouvelles forces ou, au contraire, s’endormir, croyant que nous sommes parvenus au bout de l’effort. Or, non, celui-ci reste à accomplir, comme le chemin d’ailleurs qui mobilise ses plus secrètes ressources. J’oubliais : no hay caminos, hay que caminar… » (Le Stalker)



Caminar

Je m’engage, seule, dans un petit chemin,

Le vent souffle dans les arbres immenses.

Mille bruits, diffus, éclatants, me dérangent.

Je marche doucement vers un lieu incertain ;

Puis, de plus en plus vite, mon pied avance :

J’ai vu une lumière, me semble t-il, au loin .


Clarté rassurante, clairière paisible,

La fleur est odorante et le papillon voltige.

Je me suis endormie dans une chaleur rassurante

J’ai fermé les yeux sur une lueur aveuglante.

La forêt fraîche et sombre m’a happée de nouveau

Dans ma nuit, enfoncée, dans le gouffre, le saut.


Relevée lentement, la poussière retombe

Doucement.

Où suis je ?


L’arène est lumineuse, le sable brûlant sous mes pas ;

Dans la lumière incandescente, au milieu des vivats

J’ai mon glaive bien en main, rien ne m’atteindra.

La bête est énorme, luisante et noire, l’œil fou.

Je n’ai pas peur, non, je suis déjà morte, c’est tout.

L’ombre immense se lève, oh fraîcheur bienfaisante !

Le soleil tournoie, je suis piétinée, broyée, pantelante.


Je respire et je vis, paupières obstinément baissées ;

Voir sans regarder, savoir sans lire, pas de réalité.

Je me suis ensevelie dans le gouffre – tombeau

Je pensais vivre ainsi cachée au milieu du troupeau.

Mais le monstre m’a trouvée, mon propre cerveau

Il m’a tuée pour de bon , réveillée à nouveau.


Relevée lentement,

Je suis

En enfer

Maintenant


Ballet immémorial, défi transcendantal

Ne pas s’endormir, rester éveillé,

Chercher la vérité, trouver la réalité

Je suis A, petite fille de la forêt,

Je suis A, petite fille du soleil,

Je suis A, entre terre et ciel.

samedi 11 juillet 2009

Le Juif Imaginaire


Interview de Finkielkrault à propos de son ouvrage : Le juif imaginaire

Question de la J. Citation d’ Emmanuel Levinas : « Il ne suffit pas de faire le bilan de ce que nous autres juifs - entre guillemets- nous sommes et de ce que nous ressentons aujourd’hui. Nous risquerions de prendre un judaïsme compromis, aliéné, oublié ou gêné ou même mort pour l’essence du judaïsme. On ne prend pas conscience comme on veut. L’autre voie s’offre, l’unique, l’escarpée, aux sources, aux livres anciens, oubliée, difficile, dans une étude dure, laborieuse et sévère. » [Fin de citation.]

Alain Finkielkraut, nous rappelions hier que vous étiez l’auteur de nombreux livres ; l’un a été écrit en 1980 ; il s’intitule « Le juif imaginaire » et j’aimerais, si vous en êtes d’accord, que nous prenions comme thème aujourd’hui, le thème de l’origine.

Réponse de F. Oui, et bien, j’en suis tout à fait d’accord. Le thème de l’origine évidemment c’est aussi celui de la fidélité. La modernité, c’était l ‘idée que l’on pouvait remplacer l’idée de fidélité par celle de progrès. Il n’est pas sûr que nous puissions encore agir ainsi et il a toujours été difficile au juif d’être intégralement moderne puisque, cette modernité il l'a payait du prix d’une trahison. Là encore Arendt, citant Bernard Lazare, et opposant le paria au parvenu. Le parvenu c’était celui qui oubliait ses aïeux misérables, ou qui faisait comme s’ils n’existaient pas parce que leur présence, leur référence le gênait. Une référence qui était une présence en effet car c’étaient les juifs d’Europe Centrale qui débarquaient comme ça en France notamment, à la fin du 19ème siècle, au début du 20ème et qui mettaient mal à l’aise les juifs assimilés.


Donc, oui, la fidélité : pour moi cette question s’est posée très tôt mais évidemment dans des termes -disons- originaux, neufs, ou assez neufs pour m’engager à écrire sur cette question qui a fait couler tant d’encre ; un livre, c’était un acte d’audace mais je me suis dit qu’il y avait quelque chose à dire. J’avais été très influencé par la lecture des « Réflexions sur la question juive » de Sartre . Un livre d’ailleurs que je continue à aimer, en dépit de certaines carences. C’est un livre d’une générosité extrême. On lui fait aujourd’hui une espèce de procès car nous vivons l’époque des procès rétrospectifs. Et même Sartre est condamné : n’est-il pas à sa manière antisémite ? pourquoi parle t-il de questions juives ? Parce que l’université américaine a dit et puis voilà, et puis il pense qu’on est juif dans le regard de l’autre mais ne peut-on pas être juif autrement ? etc., etc.


Toujours est-il que Sartre et Aron se voient en 44 ou 45, ils étaient encore amis et se disent : « Mais qu’est ce qui se passe en France ? Pourquoi n’y a t-il pas eu de cérémonies pour accueillir les juifs de retour des camps? C’était les déportés raciaux qui étaient dans la hiérarchie de l’époque moins « héroïsés » que les déportés résistants et on n’en parlait pas. Bien. Cette cérémonie qui n’a pas eu lieu, elle a eu lieu dans le livre de Sartre. Quelque chose a été dit des juifs, quelque chose dans quoi d ‘abord je me suis moi-même reconnu : le juif inauthentique, celui qui fuit sa condition, pour être un homme, un homme abstrait comme les autres, comme le lui propose la société libérale. Et le juif authentique, celui qui accepte sa condition et qui, face à l’antisémitisme, voire à l’humanisme abstrait se revendique comme juif. Je me disais : « et bien ! Je suis un juif authentique, je me revendique comme juif !


Et puis peu à peu j’ai pris acte de l’inauthenticité de cette authenticité parce que le contexte avait changé. Plus j’étais authentique au sens sartrien, plus j’étais cabotin. Il fallait donc faire quelque chose ; il fallait sortir de cette alternative en réalité mensongère. Et donc je me suis dit : « Mais si le juif authentique que je suis est en fait un comédien ou un cabotin, c’est peut-être en réalité un juif imaginaire…qui se prévaut de la condition de persécuté alors même qu’il est protégé et qu’il est protégé précisément par la mémoire du malheur. » Ce malheur me rendait intéressant à mes propres yeux et aux yeux des autres.


Et j’ai voulu jouer cartes sur table. Et j’ai été d’autant plus tenté de le faire que je me suis dit que cette catégorie pouvait valoir pour plus encore que les juifs. Après tout, 68, c’était le moment où tout le monde a crié «CRS,SS". Et tout le monde a dit avec une générosité imaginaire, si je puis dire, nous sommes tous des juifs allemands. Et là, c’était le fait d’une génération. Une génération qui avait connu la grâce de la naissance tardive et qui en même temps, ne s’en remettait pas puisqu’elle avait été nourrie de la pensée de ces Malraux, de ces Sartre, etc. etc… pour lesquels l’épreuve authentique, c’était l’épreuve face à la mort. Après tout Sartre écrit en 44 « La république du silence » dans les Lettres Françaises. Paris vient d’être libérée. Et quelle est la première phrase de cet article ? : « Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande. » Il fête la libération en disant : « Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande. » Qu’est ce que cela veut dire ? ça veut dire évidemment que c’est une provocation, un paradoxe, un oxymore violent : pour Sartre, avant d’être un droit, avant d’être institutionnalisé, la liberté c’est la condition humaine. Nous sommes libres, que nous le voulions ou non, si je puis dire, nous sommes condamnés à être libres. Nous ne pouvons pas nous reposer de nous-mêmes sur une autre instance. Hétéronome ou inconsciente, etc. A nous de nous faire sans cesse. Et Sartre constate que dans la vie quotidienne nous fuyons notre liberté, nous l’oublions notamment dans les rôles, notamment le cabotinage et sous l’occupation allemande, on ne pouvait plus jouer : chaque geste avait le poids d’un engagement puisque précisément nous étions, ils étaient, confrontés à l’épreuve mortelle. Voilà. Le risque était là.


Et nous, nous nous sommes dit, toute notre génération s’est dit : « mais alors comment faire pour combler l’écart ? Comment faire pour révéler notre humanité ? » Et en ce sens Mai 68 a été un psychodrame émouvant. Nous nous sommes racontés que nous étions des résistants. Dans le langage de la résistance mais des résistants ou des juifs. Donc les juifs étaient des juifs imaginaires, les non-juifs étaient des juifs imaginaires aussi. Tout le monde justement voulait résorber l’écart qui le séparait de la Grande Histoire ou de la Tragédie historique. Et c’est cela que j’ai voulu dire dans « Le juif imaginaire » et en même temps je constatais que un autre type d’hostilité naissait. C’est à dire quand je disais « je suis juif » en faisant le fier, j’avais un privilège sur des « goyim » qui eux ne pouvaient faire les fiers à propos de rien. On n’était plus fier d’être français ! Donc, j’avais un avantage. Je convertissais mon avantage en exclusion. C’était un mensonge.


Mais montait, dès cette époque-là ce qui m’est apparu alors comme un nouveau type d’hostilité, non pas lié à ma condition juive, qu’on m’enviait, mais lié à Israël dont j’étais de plus en plus fermement convié à me défaire. C’étaient plus mes aïeux misérables qui posaient un problème. Au contraire ! Je racontais l’Europe de l’Est de Shtetl, etc ., on ouvrait de grands yeux ! On aimait ça ! Non ! C’était Israël ! Israël depuis 1967 ! Israël, pays occupant ! etc., etc. C’était ça le fil à la patte que j’étais convié à couper. Et là, j’ai été amené à prendre acte à la fois que j’étais un juif imaginaire mais que nous n’en avions pas fini, nous les juifs, avec l’hostilité. Et ce que je constate aujourd’hui, ce n’est pas qu’un nouvel antisémitisme qui succède à l’ancien, c’est qu' on ne reproche plus aux juifs, c’est vrai, d’incarner la modernité en tant qu’elle serait mauvaise. Celle du matérialisme, du capitalisme, du déracinement. Si le capitalisme est mal vu, le déracinement est bien vu, la mondialisation, le métissage, tout ça au contraire est positivement connoté.



Non ! C’est une autre hostilité qui n’est pas neutre. Qui en fait est très ancienne puisqu’elle est liée à l’apparition du Christianisme. Ludwig Feuerbach disait : « La religion chrétienne, c’est la religion juive libérée, délivrée de l’égoïsme national. » Le passage du particulier à l’universel. Nous sommes tous frères en Jésus-Christ, il n’y a plus ni juifs, ni grecs disait Saint Paul. Et tout d’un coup, cette accusation d’obstination perfide, ce grief adressé aux juifs selon lequel ils perpétueraient l’exclusivisme, ils continueraient à vouloir se séparer - voyez le mur de séparation- ce grief reprend du poil de la bête aujourd’hui. Non pas dans le discours de l’Eglise mais dans un certain discours politique entièrement sécularisé. « Le cadavre des idées chrétiennes empoisonne le monde » disait Nietzsche. Et bien, cet empoisonnement, malheureusement, nous les juifs, nous le respirons à plein nez. Nous sommes soumis à cette accusation toujours plus violente qui ignore en plus sa propre origine. Non plus la modernité universaliste mais le particularisme obstiné. Voilà ce dont nous avons à répondre. Je suis en train de redescendre sur terre, il est moins facile qu’à l’époque où j’écrivais « Le juif imaginaire » d’être juif mais c’est aussi – non pas parce qu’il y aurait un renouveau de l’antisémitisme mais parce que l’antisémitisme moderne a laissé place à nouveau à une sorte de procès adressé à ce refus qui serait celui des juifs de se convertir à l’universel ; l’universel a aujourd’hui le visage de la post nationalité. Mais alors, pour revenir à Levinas, si je peux, parce que Lévinas, je l’ai lu à partir justement des années 70 avec toujours plus d’amour, plus d’admiration et j’ai lu énormément le texte qui, je crois, est issu de « Difficile liberté » dont vous avez cité un extrait toute à l’heure. Ça s’appelle « Pièce d’identité », je crois. Et c’est un texte magnifique parce que il nous dit ceci : être juif, ce n’est pas exhiber une identité juive, quelqu’elle soit – l’identité du malheur, l’identité de ceci, l’identité de cela – Il faut sortir de l’alternative entre juif authentique et juif inauthentique. Donc il ne s’agit pas simplement de fonder une nouvelle authenticité par delà le judaïsme, la judéité imaginaire. Non. Il dit : être juif, c’est accepter la loi et c’est vivre sous l’égide et dans l’étude d’un certain nombre de textes.



Un juif a incarné cette manière-là d’être juif pour moi, c’est Benny Lévy : B. Lévy a fait cela ! Il dit : l’identité je m’en fous ! Le folklore c’est pas mon problème ! Je suis juif, donc j’affirme la co-présence de tous les juifs au Sinaï et j’étudie. Et il faut dire que Lévinas a réussi quelque chose de magistral et d’inouï. Il a réhabilité le Thalmud. On lit aujourd’hui, même quand on ne lit pas le Thalmud et je ne lis pas le Thalmud, ses lectures thalmudiques. Et ses lectures thalmudiques ont enchanté beaucoup de lecteurs juifs ou non-juifs, orthodoxes ou non-orthodoxes. Et c’est un événement inouï parce que je relisais récemment « l’histoire des origines du christianisme » de Renan : un livre très profond. Mais c’est un livre qui dit très bien l’ampleur du préjugé occidental à l’égard, justement, de ce judaïsme thalmudique. Parce qu’il n’a pas échappé à Renan que le judaïsme au sens vrai est contemporain du christianisme. Il sait bien que, certes le christianisme a succédé au judaïsme mais le judaïsme s’est affirmé, si vous voulez, dans le Thalmud et le Thalmud a été noté, consigné, en même temps que l’Evangile. Et il dit : c’est un phénomène extraordinaire que l’apparition simultanée du Thalmud et de l’Evangile. Dans la même race ! L’Evangile, chef-d’œuvre d’élégance, de finesse morale, le Thalmud, un monument lourd de pédanterie, de misérable casuistique et de formalisme religieux. Et tout le monde a toujours eu cette vision-là du Thalmud ! Et voilà Lévinas qui nous dit : Non, c’est tout autre chose…Et qui nous dit quoi ? Et qui nous dit : le Thalmud, c’est la lutte avec l’Ange. Toute générosité est menacée par son stalinisme.



Le Thalmud, en effet, c’est une casuistique. Mais c’est extraordinaire que la morale, ou la loi, ou le droit soient justement envisagés au cas par cas. C’est la surveillance du général par le particulier, dit-il et c’est de cela que nous, aujourd’hui, sortis des grandes idéologies, des grands récits précisément, nous avons besoin. Les grands récits nous ont épuisés ; ils ont révélés pour certains d’entre eux une violence quasi exterminatrice. Comment en sortir, sinon, peut-être, par la lutte avec L’Ange… Donc par le Thalmud.



Et mon différent avec B. Lévy consistait à dire : le Thalmud peut offrir cela mais il n’y a pas que cela. Lui voulait aller des livres au Livre. ( le Livre au singulier) Moi, il me semblait, d’ailleurs comme Lévinas, que les livres pouvaient soutenir la comparaison du Livre. Mais nous nous retrouvions, l’un et l’autre, Bénny et moi, malgré ce différent insurmontable dans le constat que notre monde se passait – et c’est ce que nous disions hier – de toute médiation. Qu’il s’agisse de celle du Livre, complètement ignorée, ou des livres passés sous silence ou du moins succombant au relativisme des pratiques culturelles.



Question de la J.Alors vous A .F., vous êtes né après le guerre de parents juifs polonais. Vous êtes né en France. Vous n’avez plus de famille, vos grand-parents ont été exterminés dans les Camps. Qu’est ce que vos parents vous ont dit de la Shoah ?

Réponse de F. Beaucoup de ma famille est morte pendant la guerre. Je crois d’ailleurs que c’est une définition possible du juif ashkénaze : le juifs ashkénaze, c’est celui qui n’a pas de grand-parents. De ma génération, dans tous les cas, ceux qui sont nés juste après la guerre. Juifs ashkénaze du baby boom, c’est comme ça, voilà. Il n’a pas de grand-parents. Là encore, il ne faut pas succomber, si vous voulez, trop facilement à l’émotivité. Ne pas avoir eu de grand-parents n’est pas douloureux. La douleur vient de la perte. Si vous ne les avez pas perdus, vous ne pouvez pas souffrir ! ( La journaliste : « il y a la mémoire de la perte ? ») Ou si vous souffrez, c’est une étrange souffrance, c’est peut-être… ( la journaliste dit : « il y a la coupure de la filiation. ») Oui. Il y a aussi le fait de ne – quand on est fils unique en plus –, de ne pas pouvoir échapper au tout petit cercle familial. Les grand-parents, c’est des fenêtres ! Mais ces fenêtres, évidemment, elles ne s’ouvraient pas pour moi. Et donc mes parents sont l’un et l’autre des rescapés – mon père est mort en 1998 – et il a déporté. Il a été déporté de France, ce qui est aussi… Il est venu de Pologne, il a été chassé de Pologne par l’antisémitisme polonais, chassé non, mais condamné à l’exil par des lois qui rendaient la vie toujours plus difficile aux juifs. Donc, avec ses parents il s’est établi en France dans le courant des années trente. Son père a fondé une entreprise de maroquinerie que lui-même, avec son frère, a reprise après la guerre et il a été d’abord envoyé à « ???» (terme non compris NDL) puis déporté de «??? » à Auschwitz. D’où il est revenu.


La trajectoire de ma mère a été différente, plus chaotique mais tout aussi douloureuse et effrayante. Elle a été amenée à se cacher en Pologne, puis à travailler en Allemagne avec de faux papiers jusqu’au moment où elle a été découverte. Elle a été obligée de fuir l’Allemagne dans des conditions que je ne voudrais pas qualifier de rocambolesques parce que le mot est inadéquat mais dans des conditions, disons, très difficiles, très aventureuses puisque traverser une frontière pour gagner la Belgique sans papiers à cette époque, c’était terrible. Alors qu’elle était en Belgique est survenue la Libération ; ils se sont rencontrés en 1948, se sont mariés très vite et je suis né moi-même en 1949 et ils n’ont pas eu le cœur, c’est vrai, ni l’un ni l’autre de renouer avec les traditions. Et je me suis demandé pourquoi. Alors il y a une première réponse que me donnait mon père, c’est la réponse un peu facile : après Auschwitz, on ne pouvait pas faire semblant de rendre hommage à Dieu ou de vivre devant Dieu. Je ne suis pas absolument sûr que cet argument soit décisif. Je pense que si leurs parents, leurs propres parents avaient survécu, d’une manière ou d’une autre, et bien sous l’œil de leur parents, ils auraient maintenu, au moins le Shabbat, par exemple, pas davantage mais sûrement le Shabbat, parce que leurs parents respectifs qui étaient déjà assimilés en Pologne, et bien, célébraient les fêtes. Mais eux ne le faisaient pas ce qui fait que j’ai vécu dans un climat très singulier, si vous voulez, d’obsession juive et d’absence totale de culture juive. La Tradition m’était refusée et j’avais droit à l’obsession. Voilà. J’ai du vivre avec ça, alors ce que me disait Béni Lévy renoue avec la Tradition et j’ai…

Interruption de la J. :« Et viens vivre en Israël », vous a t-il demandé.

Finkielkraut continue : Oui, ça n’était pas l’essentiel. Pour lui, Israël, c’était plutôt « Eretz Israël » (Terre d'Israël), que l’Etat d’Israël, c’était plutôt Jérusalem qu’Israël et c’était venir de toutes les façons pour étudier, pas venir pour être chez soi.

Interruption de la J. :Pour ne faire qu’étudier ?

Finkielkraut :Oui ! pour étudier, pour consacrer l’essentiel de mon temps à l’étude et à l’observance puisque, elles vont de pair. Et je lui disais : je ne crois pas en Dieu et il me disait : Dieu n’est pas quelque chose en quoi l’on croit chez les juifs, c’est pas le problème. Et en même temps j’ai compris tardivement, notamment quand il est mort, que ce qui me différenciait de lui, c’est surtout que je croyais en la mort. Et à un moment donné, dans une conversation que nous avons eu à Jérusalem justement, il me disait que ce qu’il avait retenu de Platon – il était très platonicien dans la philosophie ; il avait un amour de Platon qui le brûlait – c’était le thème de l’immortalité de l’âme. Et je voyais donc que nous n’avions pas le même rapport à la mort. Je crois que c’est décisif. Et en même temps j’ai trouvé récemment en réfléchissant à tout ça - parce que depuis qu’il est mort, le dialogue ne s’est pas interrompu , simplement il a lieu dans ma tête – et j’ai relu une petite citation de Witgeinstein où il disait que la Tradition n’est rien que l’on puisse apprendre ; ce n’est pas un fil que l’on puisse ressaisir quand bon nous semble.


Donc, si vous voulez, on ne peut pas être créateur de la Tradition : lui a pu l’être. C’est quelque chose dont on hérite, c’est quelque chose qui était là avant vous qui vous a accueilli dans le monde. Si ça ne vous a pas accueilli, que faire ? Alors peut-être que un autre rapport à la transcendance m’aurait permis de surmonter cet obstacle mais là où Dieu siégeait pour d’autres, siège pour d’autres, siège pour moi la mélancolie, alors là, je ne peux pas avoir le cœur, si vous voulez, de recréer cette Tradition perdue.



Question de la J. : De juif imaginaire vous êtes devenu juif réel ?

Réponse de F. :Je crois que j’ai toujours été un juif réel au sens ou.. disons que cette appartenance, cette fidélité – quand bien même je ne savais pas quel contenu lui donner – a toujours été très importante pour moi. Je me souviens même d’ailleurs – justement ! – au moment ou la haine des juifs commençait de changer de nature, si vous voulez, ou ce n’était plus le juif en tant qu’il était moderne que l’on mettait en cause mais c’était l’image effrayante d’Israël qui ranimait l’hostilité, une certaine hostilité chrétienne jusque dans le post-christianisme, une certaine hostilité chrétienne à cette nation cruelle, séparatiste, exclusiviste. Ce qui serait très intéressant, ce serait de comparer certaines mises en cause radicale d’Israël – je ne parle pas de la critique politique d’Israël – et les griefs adressés de siècles en siècles au Dieu de l’Ancien Testament. Ce Dieu ethnique, partisan, brutal et tout opposé dans sa colère au Dieu d’amour, tel qu’il apparaît dans les Evangiles. Donc, face à cette hostilité, j’ai toujours su, si vous voulez, résister. Et je me souviens que, quand j’étais gauchiste, je militais dans une organisation qui avait mis le Tiers-monde entre parenthèses. Pour laquelle la lutte des classes avait lieu d’abord dans les grandes métropoles. Donc, je pouvais être gauchiste sans être confronté à la haine gauchiste d’Israël. Malheureusement cette organisation c’était un petit groupe qui s’était formé autour de Yann Moulier-Boutang et j’ai vu que dans « Multitudes » il est resté fidèle à lui-même avec la haine d’Israël en plus.

mercredi 8 juillet 2009

La guerre au nom du particulier, par Chantal Delsol

"Le relativisme européen a grandi sur la crainte de l'intolérance.(...) Cette traque des messages universels se déploie sous le signe de la tolérance. On suppose qu'un individu sans croyance laissera les autres exister à leur guise, puisqu'il n'aura rien à leur imposer.
Or, le relativisme culturel ne clôt pas l'histoire du fanatisme. Il engendre le fanatisme de la particularité.
Dans l'histoire des violences mondiales, les guerres et les oppressions cherchent presque toujours leur justification non pas dans l'amplification d'une certitude supposée universelle, mais dans le déploiement d'une existence particulière. Un peuple en opprime un autre au nom de sa propre grandeur, de sa propre importance considérée de son point de vue. La presque totalité des guerres historiques visent la conquête de territoire qui constitue, à quelques rares exceptions près, l'assise et la première condition de l'existence d'un peuple. Les oppressions historiques sont perpétrées au nom de ce que l'ont peut appeler des vérités d'être.
C'est avec l'Europe qu'apparaissent les guerres menées au nom de vérités de représentation : les conquêtes deviennent des missions.
(...)
Ainsi le relativisme de la modernité tardive n'annonce-t-il pas un avenir de tolérance, mais plutôt la substitution des raisons des conflits. Avec la disparition des certitudes, les luttes et les oppressions n'auront plus lieu au nom des vérités de représentation, mais au nom de vérités d'être; La fin des messages universels n'annonce pas une paix dans une joyeuse indifférence, mais le terme de la vision européenne de l'unité de l'espèce humaine, qui fondait son universalisme immémorial. Elle prépare un passage vers des modes de pensée pré-européens ou extra-européens.
Sur le plan international, le reflux des vérités de représentations, doctrines, idéologies, religions ou messages universels, n'a pas engagé ces dernières décennies dans la paix. En même temps qu'il a supprimé un certain type de guerres dont les messages universels avaient l'apanage, il a laissé se développer les conflits nationalistes ou identitaires sur le terrain abandonné. Le fanatisme a déplacé ses raisons. Dans les sociétés civiles, nous avions autrefois laïcisé l'Etat pour échapper aux guerres de religion; celles-ci ont été remplacées par des idéologies sécularisées; puis le relativisme a ouvert la voie aux luttes entre clans identitaires.
(...)
Personne n'aura envie de choisir, pour l'avenir, entre les guerres de l'universel et les guerres du particulier. Il reste cependant un certitude : la récusation des vérités universelles ne nous garantit pas la paix. Car le danger ne réside pas seulement dans les doctrines, mais aussi dans la volonté de puissance, qui s'il le faut se légitime d'elle-même.On peut dire que la volonté de puissante est tantôt un fin -dans le cas des vérités d'être-, tantôt un simple moyen -dans le cas des vérités de représentation-, mais toujours présente.Et les peuples qui jusqu'à ces dernières années cherchaient à conquérir au nom d'un principe -l'URSS au nom du communisme et les Etats-Unis au nom de la liberté- sauront encore conquérir au nom d'eux-mêmes, au nom de la grande Russie ou de la glorieuse Amérique.
(...)
Autrement dit, les vérités de représentation, annonçant des visions du monde et de la vie, font office de vérités d'être, car elles ne servent plus qu'à renforcer des individus ou des groupes dans leur particularité.(...) Les messages universels sont désormais instrumentalisés au service des individus et des groupes identitaires, avec l'espoir que la paix sociale sera la conséquence et la récompense de leur effacement.
(...)
Si chaque groupe se contente d'assumer son identité sans jamais vouloir l'imposer aux autres, on peut penser qu'il en résultera une entente sociale ressemblant à un agrément de gentlemen. L'ère des combats religieux et idéologiques laisserait place à une tolérance durable, rendue possible par le relativisme : aucun groupe ne détient la vérité plus qu'un autre.
(...)
Nous passons d'un type de querelle à un autre : de la lutte des universels à la lutte des particuliers. Dans la société de la modernité tardive, on ne s'invective plus au nom des idéologies, mais au nom des identités.
(...)
L'individu revendique sa particularité dans un ensemble plus général où il s'additionne aux autres -le groupe identitaire résumé dans un caractère. Mais le sujet personne revendique sa singularité en désignant des référents universels auxquels il ne se réduit pas. Le particulier nb'est que partie d'un tout, le singulier est un tout en lui-même, d'où l'unité de la personne."

("Les valeurs communes comme langage", dans Eloge de la singularité)

lundi 6 juillet 2009

Récusation biaisée de la religion de l'économie, par Chantal Delsol : on critique l'économie au nom de la justice sociale.

Pourquoi le tout économie aujourd'hui ?
"Puisque les croyances religieuses, les projets sociaux ou politiques, développent les guerres, mieux vaut se réunir autour de quelques certitudes prosaïques et évidentes par elles-mêmes, que nul ne peut contester. Les sociétés démocratiques incitent tout naturellement à la passion économique.
(...)
Lorsque s'effacent les valeurs universelles et le sens de la vie collective, dans ce désert il ne reste debout qu'une seule finalité : celle qui consiste à bien vivre dans le maximum de confort souhaitable.
(...)
La victoire de l'économisme est assurée par forfait, puisque la dérision est jetée sur toutes les valeurs qui seraient susceptibles de le combattre ou simplement d'occuper une partie de son espace.Dans la dévalorisation de ce qui est non marchand, le marché devient l'exclusive atmosphère de l'existence."

Récusation de ce "tout-économie" ou économisme, récusation biaisée ou socialiste : ce n'est pas la royauté de l'argent ou de la matière que l'on conteste mais l'inégalité du partage de cet argent-roi.
"La récusation du monopole de l'économie apparaît donc comme le signe d'une reconnaissance des erreurs de la modernité tardive.Dans bien des cas pourtant, cette récusation revêt une signification biaisée. L'indignation semble viser le "règne de l'argent-roi". Mais il ne s'agit pas de cela. L'inquiétude provient bien plutôt des inégalités engendrées par le monopole économique.A preuve : le monopole laissé à la matière et au bien-être est partagé. La Suède est considérée en France comme une sorte de paradis, parce que richesse y est partagée entre tous, lors même qu'il s'agit d'un pays où la liberté de penser a pratiquement été effacée par le souci du bien-être. Et les sociologues nous apprennent que les Français tiennent davantage à la sécurité sociale qu'au droit de vote.
Ici la récusation de l'économisme n'est pas une critique du monopole de la matière au détriment de l'esprit, mais, au contraire, une critique de l'inégalité qui persiste et se développe au regard de ce qui seul compte : la matière."L'horreur économique" ne traduit pas la relativisation des biens comptables, mais au contraire leur sacralisation.
(...)
Nos sociétés se veulent solidaires, et c'est là qu'elles déploient leur idéal moral, croyant ainsi dépasser la vulgaire loi du profit.Pourtant, la solidarité même qui les habite s'inscrit dans ce contexte du primat accordé à la matière. Car ce que recherche la démocratie en tout cas en France, c'est moins la solidarité comme mode d'existence que l'égalité comme résultat. La solidarité comme mode d'existence est un échange incessant de paroles et de gestes, de symboles et de valeurs matérielles et immatérielles, qui vise à combler les lacunes en même temps qu'à tisser des liens.
(...)
Mais nous cherchons moins cet échange ininterrompu, vécu comme relation à l'autre, qu'une solution au problème de l'inégalité. Nous voulons accomplir un partage, et non pas vivre dans l'atmosphère de la relation que suppose le partage.
(...)
L'esprit égalitaire tente de discréditer ce qui ne se quantifie pas, et donc ne peut se distribuer équitablement."

Le capitalisme est mauvais (pour un socialiste) parce qu'il engendre des inégalités matérielles : il n'est pas mauvais parce que accés, par exemple, sur le matériel.
"L'individu peut vivre comme il l'entend, mais le seul devoir qu'on lui impose est de partager la richesse, comme si l'argent représentait la seule valeur véritable - il représente effectivement la seule valeur saisissable et susceptible de péréquation.A ce point que les facteurs extra-économiques comptent pour rien dans les tentatives de compréhension des problèmes sociaux. Dans les cas tragiques de drames familiaux, le critère retenu pour la compréhension des causes est le critère économique : le crime est du à la pauvreté et, s'il est dû à la maltraitance, cette maltraitance elle-même est due à la pauvreté. L'incapacité éducative de certains parents est en général relevée comme conséquence du manque d'argent. On croit ainsi résoudre le problème des banlieues en déversant une manne monétaire qui avec les années laisse voir son insuffisance. Il faudrait plutôt favoriser l'éducation familiale, et, comme auxiliaire, l'éducation populaire associative : mais celle-ci apporte des valeurs autres que monétaires, elle convainc d'un sens de la vie, et pour cette raison jette la suspicion dans nos esprits. L'opinion dominante fait finalement au capitalisme un procès bien hypocrite, comme l'hôpital qui se fout de la charité, car comme le dit justement le philosophe portugais Olivo de Carvalho : "les capitalistes proclament que le seul bien est la richesse, les socialistes répondent qu'il n'y a de mal que la pauvreté."

Mauvaise interprétation de la solidarité : celle-ci est exclusivement perçue comme matérielle. Les échanges de biens immatériels sont suspects et à bannir.
"Ainsi la solidarité ne permet-elle même pas de sortir du cadre étroit et sec de l'économisme, car elle s'entend presque exclusivement comme un partage monétaire. La démarche de solidarité, démarche de ferveur vers un idéal toujours inachevé qui concerne les relations entre les êtres, se voit dénaturée en une simple volonté de partager également les possessions, par des moyens anonymes. Hors du cadre national, on voit bien que les Européens ne s'intéressent guère à l'Europe si elle ne vise pas à devenir une "Europe sociale", autrement dit, une communauté dans laquelle s'établisse un partage des biens matériels et avantages attenants."

("La religion de l'économie et les paradoxes du matérialisme", dans Eloge de la singularité de Chantal Delsol)

jeudi 2 juillet 2009

Pétition Fofana : pour une vraie perpétuité

Pétition à propos de l'affaire Fofana en ligne là :

http://www.institutpourlajustice.com/survey/details/que-faut-il-faire-des-criminels-comme-fofana

Il s'agit de réaliser que la perpétuité requise pompeusement à l'encontre de ce criminel dangereux n'est qu'un leurre : la perpétuité n'existe pas en France. Fofana, avec des remises de peine automatiques (dont le calendrier lui est remis à sa sortie de tribunal) sortira un jour.

mercredi 1 juillet 2009

Xénophobie, extrême droite : la mystification (synthèse du chapitre 4 de "La société ouverte et ses nouveaux ennemis" d'Alain Laurent)



"Dans beaucoup de nations européennes, une proportion notable et en constante progression de citoyens accepte de moins en moins de devoir passivement subir les multiples désordres provoqués par l'afflux hors de contrôle d'une immigration de peuplement et d'ayants droit, les ratages de l'intégration d'une partie de la population issue de l'immigration déjà installée et de la transplantation durable d'une pratique traditionaliste ou rigoriste de l'islam incompatible avec le droit commun national ou, plus largement, avec les règles en usage dans une société ouverte."
Ces citoyens sont d'autant plus indisposés qu'ils constate l'impuissance des pouvoirs publiques à résoudre les problèmes ou, pire, sa volonté de les minimiser ou de les occulter.Ces citoyens doivent de plus se soumettre aux nouveaux dogmes d'une société multiculturelle et aux dogmes de la bien-pensance.Ceux qui résistent sont alors accusés d'être "racistes" et "adeptes des idées d'extrême-droite".
"Je propose donc maintenant de montrer que ces imputations de xénophobie sont dénuées de tout fondement sérieux; qu'elles reposent sur une incompréhension délibérée et loin d'être innocente des vrais motifs d'exaspération..."

Une protestation non xénophobe
La France a changé depuis trente ans.Désormais, il est difficile à un "Gaulois" de retourner dans certains quartiers de banlieue auparavant paisibles; certains centres ville peuvent être mis à sac par des razzias venus de quartiers dits sensibles et surtout la France qui était si laïque "( plus personne ne parlait de laïcité tant elle allait consensuellement de soi...)" doit maintenant afficher une "charte de la laïcité" dans certains lieux publics. La dégradation intervenue dans la vie quotidienne des gens les exaspère."Et l'indulgente impunité dont continuent à bénéficier les jeunes voyous a fini de les révulser." D'autant que beaucoup de migrants antérieurs à ces derniers arrivés se sont installés et intégrés en France sans faire de désordre ni exiger de changer les règles d'une société ouverte.Enfin, les citoyens se scandalisent de payer par le biais de leurs impôts des factures dues à cet afflux d'immigration : "une dette d'un milliard d'euros rien qu'au titre de l'aide médicale d'Etat : chiffres 2007" et les réparations des dégâts dans chaque ville concernée par les émeutes ou désordres quasiment quotidiens. ( "politique de la ville").
"Quand ils entendent dire que tous les griefs relèvent du fantasme ou d'une exagération à relents xénophobes, pour eux la coupe est pleine." Qu'on se rappelle tout de même certains faits : février-mars 2005, lors des manifestations lycéennes, violences racistes commises aux cris de "on va casser du Blanc"; émeutes de novembre 2005, insurrection de Villiers-le-Bel en 2007("affrontement armé unilatéral : des dizaines de tirs d'armes à feu avec volonté de tuer dirigés contre des policiers qui ne ripostent pas et ont 80 blessés par balles ou plombs."). "La France est entrée dans une ère de guérilla larvée"Et les citoyens n'en peuvent plus de cet état de fait.
Des rapports officiels ravivent de plus leur inquiétude : le fameux rapport Obin,( cf. le chapitre 3 recensant les dégradations dans l'enseignement en ZEP), le rapport, fin 2006, de l'Institut national des hautes études sur la sécurité sur le "neuf-trois" qui parle de "déferlante de violences" avec une délinquance "hors-normes" et enfin le rapport interne de la CGT à propos des violences sur les agents des services publics dans les "cités interdites"("l'expression figure en intertitre dans le dossier du Nouvel Observateur qui en rend compte").
Et les rapports de l'ONU ne sont pas en reste pour raviver l'exaspération des citoyens français : Kofi Annan de déclarer le 29 janvier 2004 ( il est alors secrétaire général de l'ONU) : "les sociétés européennes doivent s'adapter à ceux qui les accueillent".Les rapports de l'ONU d'octobre 2005 puis d'avril 2007 "affirment péremptoirement que ces mêmes sociétés "vieillissantes" doivent sans tarder s'ouvrir à une "immigration de peuplement". Enfin le rapporteur de l'ONU pour la xénophobie, Doudou Diène accuse la politique française d'immigration de porter"une dynamique de légitimation du racisme".(1)
Les citoyens "en colère" ne pensent pas du tout être "racistes" comme le déclare à l'envie la bien-pensance. Simplement, selon eux cette immigration de masse mal contrôlée est la cause de cet échec de l'intégration et des désordres en France."une partie des migrants ignorent les codes sociaux... et se trouvent destabilisés.(...) Pâtissant de cette fracture culturelle, ils tendent à se replier sur leur mode de vie communautaire et la culture des origines : mesure de protection conservatoire..." La ghettoïsation n'est nullement le fait d'une politique sociale mais simplement "d'une tendance spontanée".Ces structures "infra-sociétales" sont l'effet pervers de cette ghettoïsation de masse.
L'effondrement d'autre part de l'autorité parentale explique la surdélinquance des jeunes de la deuxième ou troisième génération de l'immigration. Le chômage de ces pères immigrants sans qualifications explique leur absence d'autorité sur une progéniture souvent ultranombreuse."Abandonnés à eux-mêmes, vivant essentiellement entre eux dans la rue, ces jeunes pratiquent avec assiduité l'absentéisme scolaire..." et provoque la spirale dans la violence et le chômage.
"La plupart des citoyens exaspérés ne rejettent nullement "l'Autre" en soi mais certains "autres" en raison de leurs comportements ancrés dans la violence ou d'hostilité aux règles de vie en Europe et non de leur "origine" ou "race".Par contre leur exaspération s'érige contre l'Etat, coupable de toutes les capitulations et forfaitures.
Ces citoyens non racistes "demandent tout simplement qu'enfin l'Etat exerce pleinement ses responsabilités régaliennes en faisant respecter partout en France et aux frontières les règles de l'état de Droit et en pratiquant la tolérance zéro sans distinction d'origines..."

Vrai racisme et nouveaux vrais visages du facisme
"être opposé à l'immigrationnisme et à l'emprise de l'islam traditionaliste sur la société française, c'est être "xénophobe" et "islamophobe" : telles sont les nouvelles tables idéologiques de la loi qui s'est imposée en France - et bien ailleurs en Europe."
La manipulation intellectuelle est claire : faire passer l'exaspération ou l'inquiétude des gens pour du racisme.
Définition du vrai racisme : "en toute rigueur, ne mérite d'être qualifiée de raciste que la réclusion à priori de l'identité des individus dans l'appartenance à un groupe défini par des caractéristiques biologiques fortes (un déterminisme collectif des compétences personnelles) le plus souvent réductrices et péjorantes - alibi à un projet d'exclusion."
Exemple de vrai racisme : "celui qui sévit actuellement en Russie ou en Allemagne orientale dans les meurtriers pogroms anti-immigrés qui se multiplient".
Analyse de Revel : il y a une tendance à attribuer "à un racisme a priori, doctrinal et métaphysique, les réactions d'inquiétude et les difficultés inévitablement éprouvées par les populations d'accueil" (1999). Les partisans d'une totale liberté d'immigration " n'ont nul droit de taxer de facisme, de racisme et de vichysme les citoyens qui craignent les répercussions chaotiques et néfastes d'une régularisation automatique de tous les arrivants illégaux, autrement dit d'une suppression totale des contrôles."(2000)
L'amalgame entre xénophobie/racisme et étiquette "extrême-droite" est vite opéré et c'est ainsi que tous le monde se retrouve sous cette cet amalgame : "les idées de l'extrême-droite incarnées par J.M. Le Pen continuent de se banaliser" (le Monde, 27/12/05): la lepénisation serait en marche.
L'extrême-droite et Le Pen : le vrai racisme pourtant : la plupart des citoyens qui ont voté Le Pen ou qui ont simplement repris les idées anti-immigrationnistes l'ont fait non par vrai racisme mais par protestation et aussi parce qu'ils n'avaient pas d'autre choix. "Pourtant, ce choix protestataire fait en désespoir de cause et faute d'une issue alternative ne préjugeait en rien d'une adhésion idéologique à tout le reste - de loin le plus important - du projet d'un parti cultivant le nationalisme identitaire ( ce macro-communautarisme!), autoritaire, anti-laïque, hyper-protectionniste, réellement xénophobe ( de l'antisémitisme avoué au rejet de toute immigration et à la dénonciation des "étrangers" volant l'emploi des "nationaux") et partisan d'un ordre moral puritain, paternaliste et rétrograde...et donc ennemi de la société ouverte comme l'ont toujours été les formations d'extrême-droite.Le Pen, "ennemi avéré de l'Occident": il faut se rappeler son antiaméricanisme et anti Israélisme viscérals ( "il jugeait le 21 septembre 2001 que les Etats-Unis avaient bien cherché et mérité ce qui leur était arrivé le 11 septembre) et Le Pen, pro islamiste avéré : "sympathie marquée pour l'Iran de Khomeiny et des ayatollahs dont le programme nucléaire actuel destiné à anéantir Israel est formellement approuvé, par une compréhension manifestée envers le FIS algérien, puis un appui sans faille au régime de Saddam Hussein jusqu'au plus fort de l'intervention américaine en Irak.
Mais ce vrai racisme a été complètement ignoré par la plupart des gens qui adhéraient aux idées d'extrême droite à cause de la capitulation de l'Etat face à l'immigration massive non contrôlée et pire face à la dénonciation de ce même Etat des gens qui tentaient de dévoiler les désordres engendrés par une partie de cette immigration non contrôlée."Pendant quinze ans, ce fut un crime, politiquement incorrect, de faire observer qu'une immigration anarchique...provoquerait une réaction de rejet dans la population."..."Le Front National ne reculera que si ces erreurs sont reconnues et corrigées". Ces mots de Revel datent de 1999, et effectivement, le Front National s'est dégonflé comme une baudruche le jour ou la droite a repris à son compte le thème de la sécurité et de l'immigration.Extraits de courriers reçus par le Monde suite à un éditorial du 8 juillet 2006 s'opposant à l'expulsion d'enfants scolarisés de clandestins : "C'est une faute morale de soutenir l'installation sauvage d'immigrés arrivés irrégulièrement"; " ... à l'évidence l'intégration des immigrés se passe mal (ils sont hyper-surreprésentés dans la population des prisons par exemple), l'immigré est toujours présenté comme une victime, et toute tentative pour limiter les flux comme une dérive fascisante."
Le vrai fascisme actuellement : où le trouver : "les belles âmes de l'anti-facisme" n'ont pas vu arriver un réel danger " de facture formelle typiquement fascisante, mais sur l'autre bord du spectre idéologique où elles se refusent à l'identifier comme tel. D'abord à l'extrême gauche, avec un "fascisme" rouge agissant et à bien des égards idéologiquement proche du fascisme classique d'extrême droite (antisémitisme xénophobe à peine dissimulé sous l'anti-sionisme et la haine d'Israël, anti-parlementarisme, anti-américanisme, anti-libéralisme...)"Ces nouveaux fascistes, bien souvent héritiers ou admirateurs des commandos Action Directe, Brigades Rouges, etc.... s'allient avec des islamiste radicaux trouvés dans les banlieues ("islamo-fascisme") (2):
"Pourtant, entre l'intégrisme islamique, ce néo-fascisme vert, et le fascisme noir européen la similitude tripale doctrinale ressort de l'évidence : commune fascination pour la violence et la mort sacrificielle... bien sûr, mais aussi même haine pour les femmes, les homosexuels, les juifs, l'individualisme; et même aspiration à la fusion dans le tout d'une vaste communauté close..."