mardi 28 juillet 2009

"Qu'est-ce que l'Occident?" de Philippe Nemo (éditions PUF)



Introduction
« Aujourd’hui, de même, les crises géopolitiques de l’aube du XIXe siècle ébranlent une réalité que nous sentons essentielle à nos existences, mais dont nous n’avons pas une conscience suffisamment nette. »
Qu’est- ce que l’Occident ? Cette civilisation ou culture a t-elle des valeurs et des institutions communes ?
Cinq événements majeurs expliquent l’émergence de cette civilisation Occidentale : L’invention de la Cité, l’invention du droit, la révolution éthique et eschatologique de la Bible, la « Révolution papale » des XIe-XIIIe siècles, la promotion de la démocratie libérale.

Chapitre 1
Le « miracle grec » : la Cité, la science

1/« La cité grecque » est née à la faveur d’une catastrophe et 2 /L’égalité des citoyens et la liberté sous la loi
La Cité grecque naît vers 1200 avant JC, lors de la destruction des monarchies centralisées et l’apparition de l’agora, espace public où l’ordre social apparaît, par la discussion des lois régissant la Cité. C’est le gouvernement par les lois et non plus par un roi.
3/ La science et 4/ L’école
« » Il devient possible d’envisager des théories pour comprendre l’ordre naturel. »(comme on travaille sur l’ordre social). Avec la recherche scientifique, naît l’école. (apprentissage des sciences)

Chapitre 2

L’apport romain : le droit privé, l’humanisme



1/ L’invention d’un droit universel dans l’état romain pluri-ethnique
« Les grecs avaient inventé le « gouvernement de la loi ». Mais ils n’avaient pas poussé très loin l’élaboration du droit. » Ce sont les romains, obligés de diriger un immense empire qui vont développer tout un vocabulaire juridique, de plus en plus abstrait, applicable et compréhensible partout.
2/ Le droit privé romain, source de l’humanisme occidental
"Ce droit romain, en définissant la propriété privée, est à l’origine de la notion de personne humaine individuelle, libre et singulière (... ) Le droit romain est, de ce fait, la source de l’humanisme occidental. »
3/ Le personnalisme de la littérature et de la sculpture latine.
« On trouve des indices nombreux de cette véritable métamorphose de civilisation dans la littérature et l’art romains. », qui se distinguent très nettement de la littérature et l’art grec, encore très « collectivistes »

Chapitre 3
L’éthique et l’eschatologie biblique

"C’est parce que dans la civilisation Occidentale s’intègre la morale judéo-chrétienne, qui se rebelle contre la normalité du mal, que cette dernière observe une dynamique de progrès."
1/ l’éthique biblique
« La morale biblique est essentiellement une morale de compassion et cette morale consiste non seulement à ne pas accepter comme normales les souffrances du monde mais en plus à s’en sentir responsable quand bien même on ne les a pas personnellement provoquées. (…) L’homme est un être inquiet, un irrequietum cor, comme dit saint Augustin. Car le combat contre le mal ne consiste pas tant à apporter des solutions nouvelles aux problèmes qui se posent qu’à voir des problèmes et des anomalies là où l’on ne voyait que la nature éternelle des choses . (…) Ainsi la blessure de l’amour est-elle grosse d’une cascade de transformations historiques. »
2/ L’eschatologie biblique
Il s’agit, avec l’eschatologie biblique, de penser le monde comme Histoire. L’homme doit être un saint c’est à dire que le salut dépend de son action dans le monde.

Chapitre 4

La « Révolution papale » des XIe-XIIIe siècles

1/ La révolution papale
« Ce qui va orienter dans un sens pacifique et rationnel le programme biblique d’agir dans l’histoire, c’est en effet une nouvelle »vision du monde » forgée au cœur du Moyen-Âge européen, du XIe au XIIIe siècle, à l’instigation de l’Eglise romaine. » : la Révolution papale, instaurée, par le pape Grégoire VII, qui va ordonner l’étude du droit antique romain pour créer un nouveau droit canonique : ce dernier aboutit à la fois à « christianiser » le dur droit romain et à « juridiser » c’est à dire à rendre un peu plus praticable l’invivable morale chrétienne.
2/ Les nouvelles conditions de la parousie
" Pourquoi les hommes de la « révolution papale » ont-ils éprouvé le besoin de changer de "vision du monde" ?" Ils ont eu le sentiment qu’il fallait d’urgence rechristianiser le monde afin de rendre l’humanité capable d’atteindre ses fins éthiques et eschatologiques.
3/ La doctrine anselmienne de l’expiation et le purgatoire
Cette volonté d’agir sur le monde a été presque rendue impossible par la théologie augustinienne, dominante dans le christianisme occidental du haut Moyen-Âge. Selon cette doctrine, l’action humaine n’a aucune valeur. La doctrine de Saint Anselme, au contraire, traduisait que "de l’expiation résultait implicitement un changement de perspective quant à la valeur de l’action humaine. Si « le péché originel » a été intégralement racheté, il ne reste plus alors à chaque homme qu’à racheter les « péchés actuels » accomplis pendant sa propre vie et dont il est individuellement responsable. (…) Avec ces innovations théologiques, l’homme fait donc irruption sur le devant de la scène. "
4/ Le salut, entreprise humaine. Le Christ médiateur et 5/ Le Grand Inquisiteur
Distinction entre le protestantisme, très proche de ce catholicisme révolutionnaire, alors que l’orthodoxie russe s’en éloigne complètement :
« Les théologiens orthodoxes interprétèrent l’attachement des Occidentaux à l’action temporelle comme le signe qu’ils renonçaient purement et simplement à la dimension surnaturelle de la vie. »[cf le Grand Inquisiteur chez Dostoïevski dans les « Frères Karamazov »]
6/ La sanctification de la raison : la science grecque et le droit romain mis au service de l’éthique et de l’eschatologie bibliques
« Le salut va donc devenir une entreprise rationnelle.(…) User de la raison dans la science et le droit va donc désormais devenir pour l’homme occidental un devoir sacré.(…) La raison est sanctifiée. »
« La civilisation sera désormais une synthèse entre « Athènes », « Rome » et « Jérusalem » : les raisons scientifique et juridique seront mises au service de l’éthique et de l’eschatologie bibliques, la foi se choisira comme moyen l’épanouissement de la nature humaine rationnelle. »
7/ Cause formelle et cause matérielle : la question de la transmission des textes
« Aussi le renouveau du droit et de la science ne doit-il pas être interprété comme un fait contingent résultant de la découverte fortuite de certains textes. Le fait nouveau n’est pas matériel, mais intellectuel. Il est que des textes qui étaient disponibles depuis longtemps étaient maintenant perçus comme utiles et pourvus de sens. »

Chapitre 5
L’avènement des démocraties libérales

« Le cinquième événement ou « miracle » nous est plus familier. Il se confond avec les grandes réformes libérales et démocratiques qui ont fini de donner son visage propre au monde occidental… (…) Elles ont promu un nouveau modèle d’organisation des activités humaines : l’ordre spontané de société ou ordre par le pluralisme.(…) les grandes révolutions démocratiques ont ainsi promu en doctrine et en pratique le libéralisme intellectuel, la démocratie, le libéralisme économique… . »
1/ Le libéralisme intellectuel:
« Ils sont partis du constat que la raison et la connaissance humaines sont fondamentalement limitées et faillibles.(…) … la liberté de penser et de critiquer permet de remédier à la limitation intrinsèque de la raison humaine. »
2/ La démocratie:
« La conviction que la raison est faillible permet, comme dans le libéralisme intellectuel, une forme de fécondité en matière de gouvernance : « Il est faux que, comme le prétendaient les théories monarchiques depuis l’Antiquité, certains hommes, élus des dieux, possèdent la science nécessaire pour gouverner seuls et sans contrôle. Pour que la solution démocratique s’imposât aux esprits les plus réfléchis, il a donc fallu que disparût d’Europe tout reste de culte monarchique…(…) Or, nous pensons que cette désacralisation du pouvoir en Europe a été le fruit du judéo-christianisme ; que le concept même de laïcité vient de la Bible… »
3/ Le libéralisme économique:
« Pour des hommes animés de l’éthique biblique, cependant, la liberté de penser et la liberté politique ne sont que des moyens. Car améliorer le monde, cela implique, en définitive, de donner du pain à ceux qui ont faim…. Ce fut l’économie de marché. »
4/ L’ordre auto-organisé et ses adversaires:
« Les adversaires de la démocratie libérale se séparèrent en deux groupes. Ceux qui croyaient à la supériorité des ordres naturels furent à l’origine des familles de pensée qu’on appelle la droite. Ceux qui croyaient à la supériorité des ordres artificiels … furent à l’origine de la gauche.(…) Naturellement, réactionnaires et révolutionnaires se combattirent aussi les uns les autres, de sorte que l’on ne compris pas facilement que leurs similitudes étaient plus profondes que leurs oppositions.(…) La lutte des deux « blocs », elle, aura eu le mérite de durer assez longtemps pour que soit démontrée de façon éclatante la supériorité de l’économie de marché sur le socialisme réel. »

Chapitre 6

Un aspect universel de la culture occidentale



Friedrich August Hayek a bien développé ce fait qui s’est manifesté en Occident :
« Une humanité plus savante peut tirer d’un même environnement naturel une production supérieure. »
1/ Démocratie libérale, division du savoir et productivité
« La possibilité pour une société d’augmenter son savoir en divisant son travail est donc strictement liée à sa capacité à organiser les échanges, c’est à dire à maintenir son lien social (…) L’échange, en effet, suppose des règles de juste conduite morales et juridiques… »
« Le droit et les prix abstraits sont ainsi, dit Hayek, de véritables systèmes de « télécommunication » rendant possible une organisation des échanges à très grande distance. »
[Cette coopération à plus grande distance procure une division exponentielle du savoir et donc une augmentation des connaissances.]
2/ L’explosion démographique et sa signification
« Le premier effet de l’augmentation de la production due à la mise en place du marché a été l’explosion démographique. (…) Les intellectuels de gauche et de droite, à partir, de la moitié du XIXe siècle, ont accusé le capitalisme d’avoir appauvri les hommes. Ce fut une tragique illusion d’optique. En effet, le capitalisme n’a pas appauvri les hommes, il a –dans une première phase- multiplié les pauvres.(…) Cependant, il ne s’agissait pas de gens qui auraient été appauvris après avoir été riches. Il s’agissait de gens en vie qui, auparavant, auraient été morts ou, plus exactement, ne seraient pas nés.(…) Très vite, au cours du XIXe siècle, les nouveaux progrès de productivité seront utilisés à vivre mieux à population plus faiblement croissante, jusqu’à l’époque des « Trente Glorieuses » où la quasi-intégralité des progrès de la production économique ont passé en élévation du niveau de vie à population stabilisée. »
3/ Valeur universelle de la société de droit et de marché
« Les habitants des pays non occidentaux sont donc, qu’ils le veuillent ou non, condamnés à vivre désormais dans une civilisation technique qui est d’origine occidentale, et qui ne se maintient que parce qu’il existe une économie mondialisée fonctionnant avec des institutions juridiques, économiques et monétaires internationales qui portent elles-mêmes la marque de l’Occident.
Nous voyons que les civilisations non occidentales qui se développent le font toutes en s’occidentalisant à quelque degré. »

Chapitre 7
Pour une Union occidentale

1/ Les frontières de l’Occident
«L’Occident. - Les sociétés qui ont connu les cinq événements sont l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord. Mais il faut préciser.(…) Dans toutes ces sociétés, nous pensons que les traits civilisationnels communs l’emportent en importance sur les diversités régionales…. Il n’existe certainement pas une identité européenne opposable à une identité américaine. Des différences existent, certes, mais il est clair qu’elles sont aussi fortes parmi les pays européens qu’entre l’Amérique et l’Europe.
(…)
Les pays proches de l’Occident. -Certains pays sont « proches » de l’Occident sans être membres à part entière. Ce sont ceux qui n’ont pas connu un ou deux des cinq événements –à savoir, les pays de l’Europe centrale, de l’Amérique latine, du monde orthodoxe et, pour d’autres raisons, Israël.
(…)
-La situation de l’Amérique latine est similaire, mais son évolution est plus difficile à cerner. Les pays qui composent cette région du monde ont tous été créés par l’Espagne ou le Portugal, mais à un moment où ces derniers pays n’avaient encore connu que quatre des cinq événements. Ils ont expérimenté, depuis lors, des révolutions et changement constitutionnels allant dans le sens de la démocratie libérale, mais avec des réussites disparates.
(…)
-Les pays orthodoxes, Russie et Balkans, qui sont, certes, tout à la fois grecs, romains et chrétiens, n’ont cependant pas connu la Révolution papale. L’évolution que nous avons analysée des sociétés chrétiennes occidentales sous l’influence de celle-ci – à savoir, la laïcisation, le développement de l’Etat de droit, la rationalisation des mentalités- n’a pas eu lieu chez eux au même rythme et au même degré qu’en Europe occidentale.
(…)
-Le cas d’Israël est spécial, puisqu’on ne peut penser le statut géopolitique de l’Etat d’Israël sans considérer la situation générale des juifs dans le monde. Les juifs vivant dans les pays occidentaux sont évidemment des Occidentaux.
(…)
Le monde arabo-musulman. – Le monde arabo-musulman ne touche à l’Occident que par la Bible. C’est évidemment beaucoup. Mais le fondateur de l’islam a transformé en profondeur l’éthique et l’eschatologie reçues du judaïsme et du christianisme.(…) Mais on ne peut que constater que la science ne s’est acclimatée durablement dans aucune société musulmane . Il faut bien qu’il y ait eu à cela des raisons profondes tenant à la structure des mentalités et des représentations du monde imposées par la religion.
(…)
Les autres civilisations. –Enfin sont extérieurs à l’Occident les pays totalement étrangers aux cinq événements avant les dernières décennies, c’est à dire les mondes océanien, africain, indien, chinois et japonais, si ce n’est dans la mesure où ils ont adopté la civilisation technique –mesure difficile à préciser, comme nous l’avons vu. Mais il est vrai qu ‘en ce qui concerne le Sud-Est asiatique développé, et spécialement le Japon, Hong-Kong, la Corée du Sud ou Taiwan, et, déjà, bien des zones de la Chine continentale, cette adoption ne fait aucun doute. »
2/ L’extension des frontières. La question de l’éducation
« Ce n’est pas un hasard si les régions que j’ai identifiées comme occidentales le sont. C’est que, dans tous et chacun de ces pays, il y a eu un appareil éducatif qui a formé pendant des siècles les jeunesses aux idéaux, valeurs, normes et institutions de l’Occident.(…) Il est faux, en particulier, que les relations de marché, par elles seules et automatiquement, suffisent à bâtir une culture commune. Si Hayek a eu raison de dire qu’elles sont le premier lien social, et souvent le seul entre les hommes appartenant à des sociétés différentes, il a peut-être sous-estimé le fait que ce lien reste occasionnel et fragile aussi longtemps que des liens d’un autre type ne sont pas tissés, ce qui requiert des efforts sui generis.
3/ L’union occidentale
« … on peut se demander s’il ne conviendrait pas de mettre sur pied une forme politique commune des pays occidentaux qui correspondrait à leur forme culturelle d’ores et déjà commune –autrement dit, une entité politique qui incarnerait l’identité occidentale et rendrait manifeste aux yeux de ses habitants qu’ils sont membres d’une même communauté.(…) A cet égard, deux fausses bonnes idées ont été mises en œuvre ou projetées jusqu’à présent ; l’Union européenne et l’Empire américain. [idées erronées car] l’Union européenne, en envisageant de s’élargir à des pays non occidentaux et en n’envisageant pas de se rapprocher des pays de l’Atlantique dont elle partage la culture ; l’Empire américain, en visant d’une certaine façon à l’unité du monde occidental tout entier, mais sous la forme du leadership d’une puissance dominante considérant les autres comme des satellites.
(…)
A ces deux fausses bonnes idées il convient donc d’opposer le seul concept exprimant la réalité objective des choses, celui d’une Union occidentale qui réunirait l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et les autres pays occidentaux cités plus haut…. Ce devrait être une confédération, c’est à dire un espace institutionnalisé de concertation et de coordination, une libre République de pays égaux en droits.
(…)
Cette communauté n’aurait, cela va sans dire, aucune attitude a priori hostile à l’égard des autres civilisations et pays du monde…. Sachant ce qu’elle doit défendre et avec qui elle peut le défendre, elle assumerait sereinement la responsabilité d’avoir des frontières.

Conclusion
« Pour qu’un dialogue entre les civilisations aboutisse réellement « il faudra rien de moins que des hommes inspirés qui, semblables aux auteurs des « sauts »culturels dont nous avons parlé dans cet ouvrage, forgeront des schémas de pensée nouveaux capables de dépasser l’étroitesse des points de vue des protagonistes tout en rendant justice à la vérité profonde aperçue par chacun d’eux, un peu à la manière dont la physique quantique dépasse les théories corpusculaire et ondulatoire de la lumière en donnant raison, sous un certain angle, à l’une comme à l’autre. Peut-être quelque génie saura t-il un jour, par exemple, analyser la vie économique de telle manière que soit rendue justice à la fois à la logique de la liberté et de la concurrence mise en relief par l’Occident et à la logique du vivre-ensemble et du consensus prévalant dans les sociétés confucéennes.
Mais pour que le dialogue débouche sur ces nouveaux univers, il faut qu’il soit mené en vérité, et pour cela que chacun y soit authentiquement lui-même. »

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