samedi 29 mai 2010

Littérature et libéralisme, conférence de Alain Laurent

 Retranscription, dans les grandes lignes, de cette conférence que l'on peut écouter chez Nicomaque.

 Première partie de la conférence : recension par Alain Laurent d'auteurs libéraux et question :

 Je vais aborder un sujet qui n'a pratiquement jamais été exploré ni traité, sur lequel il n'existe rien, ce sont les rapports étranges qui existent entre les libéraux, le libéralisme d'un côté et de l'autre la littérature et également le monde de l'art. Il y a, et tout le monde peut le constater, un divorce total entre les deux. Il s'agit donc de faire dans un premier temps un recensement sur le plan de la littérature (et non pas en philosophie) des auteurs.
 Il y a fort peu d'écrivains que l'on peut présenter comme libéraux. Pas seulement dans le moment présent mais dans toute l'histoire de la littérature que l'on peut faire commencer au 18ème siècle c'est à dire à l'apparition des premiers romans.

 A/ Distinction du sujet d'étude :


 Que faut-il entendre par "écrivain libéral"? Je suis obligé de m'appuyer sur une définition qui suppose qu'il s'agit d'un écrivain qui professe des convictions libérales mais qui ne les a pas forcément -et c'est infiniment rare- fait passer dans un ouvrage de fiction quelconque. Donc, on peut avoir à faire -je vais prendre l'examen de Benjamin Constant-  à un romancier qui écrit des romans où il n'y a pas du tout d'idées libérales dedans. Constant a produit, hors de la fiction,  de magnifiques ouvrages qui sont relatifs au libéralisme (Ses romans traitent surtout d'affaires sentimentales, largement inspirées de ses relations avec Madame de Staël). Et c'est le cas de pratiquement tous les auteurs recensés : ils sont libéraux lorsqu'ils s'expriment en dehors de la fiction mais ils n'ont pas produit de romans ou d'œuvres de fiction qui puissent être qualifiées de libérales.Il n'y a pas de romancier qui exalte les vertus d'un entrepreneur, ou les aspects positifs du monde de l'entreprise, parfois les côtés héroïques de l'entrepreneur, du moins je n'en connais qu'un auteur qui ait fait cela, c'est Ayn Rand. Si vous cherchez un romancier qui exalte ou présente de façon positive le capitalisme, le libre marché ou les risques encourus par un entrepreneur, vous ne trouverez pratiquement rien à mettre en balance avec des dizaines de milliers d'ouvrages qui ont fait l'inverse. C'est incroyablement troublant qu'il n'y ait que un ou deux romans au monde qui disent du bien de l'entrepreneur ou du capitalisme. Alors qu'est-ce qui s'est passé?

En faisant une enquête assez poussée, on peut dire que les choses avaient bien commencé entre littérature et libéralisme, c'est à dire à la fin du 18ème siècle et surtout dans la première moitié du 19ème siècle -avec cependant la précaution exprimée précédemment : ce n'est pas dans leurs romans que ces écrivains ont parlé du libéralisme mais à côté-. Dans tous les cas, avec Voltaire, Madame de Staël, Benjamin Constant et Stendhal, on a un beau contingent de très grands écrivains qui professent des idées libérales.Il faut prendre le terme de libéralisme dans toutes ses dimensions pas seulement dans le domaine politique mais aussi dans le domaine économique et philosophique.Au moment où le libéralisme commence à se constituer dans sa plénitude c'est à dire à la fois sur le plan culturel, économique, politique et philosophique, il y a effectivement des écrivains qui, hors fiction, sont tout à fait libéraux. Une petite particularité en ce qui concerne Stendhal : Stendhal est certainement le premier à mettre en place des personnages qui se réclament du libéralisme. Mais il s'agit d'un libéralisme plus franchement politique que vraiment économique.Remarque intéressante : tous ces écrivains sont français! Ainsi, le pays qui, au monde, professe le plus d'anti-libéralisme primaire et effréné, est celui dans lequel il y a eu le plus d'écrivains libéraux au départ.
 Après Stendhal, après 1840-50, cela disparaît et aucun écrivain à l'étranger ne prend la relève.Il faut savoir que les événements de 1948 ont laissé des traces : le roman français a pris une toute autre direction (avec Hugo, Zola, etc...). Il faut attendre le 20ème siècle et non plus en Europe mais aux États-Unis pour retrouver des écrivains attirés par le libéralisme.Les écrivains que je vais citer (Dos Passos et Saul Bellow) ont produit la plupart de leurs œuvres avant Ayn Rand mais ils ont évolué dans leurs convictions : ils ont commencé comme sympathisants de l'extrême gauche et vont virer leur cutie par la suite, comme beaucoup de conservateurs américains.En France, Dos Passos est présenté comme tout à fait à gauche, sauf que, après la Deuxième Guerre Mondiale, il a complètement changé une fois qu'il a compris le système soviétique et et les alliés de ce système aux États-Unis, les "liberals" (Avant 1945, les intellectuels américains, pour la plupart étaient communistes. Ceux qui étaient à droite étaient certains philosophes ou des journalistes mais peu d'écrivains à part donc Dos Passos et Bellow). Saul Bellow va déclarer, par exemple : "Je suis toujours libéral mais certainement pas au sens que ce mot a pris chez nous aux États Unis." Dos Passos était beaucoup plus engagé : dès 1945-50, il a fait partie des écrivains et des acteurs qui se sont constitués en syndicats pour s'opposer à l'influence du communisme aux Etats-Unis et il a pris vigoureusement position là-dessus.
 En même temps que Ayn Rand, il y a deux femmes assez remarquables qui ont écrit et sont pratiquement inconnues en France : Rose Wilder Lane d'une part et Elisabeth Paterson. (La mère de Rose Wilder Lane, Laura Ingalls Wilder a écrit "La petite maison dans la prairie" d'où est tirée la célèbre série télévisée.) En 1943, année où Ayn Rand a publié "La source vive", elles ont toutes deux publié des essais favorables au libéralisme.
 A part ceux que je viens de nommer, il n'y personne d'autre qui serait à la fois écrivain et libéral, si ce n'est peut-être, dans les années 80, en France, Paul-Loup Sulitzer.Certes il n'avait pas le niveau d'un Camus ou d'un Malraux mais c'est le seul exemple qui avait quelque peu pignon sur rue et qui a dit du bien du libéralisme. On peut se demander d'ailleurs si le discrédit dont il a souffert par la suite ne provient pas de ses convictions libérales affichées. Ayn Rand a expérimenté aussi ce problème aux États Unis lorsqu'après la guerre, en 1947, en réalisant qu'il y avait une sorte de liste noire qui existait et qui faisait que les écrivains ou acteurs  (les anticommunistes comme Cary Cooper, John Ford, John Wayne, Walt Disney) était "blacklistés" (barrages par exemple pour obtenir des contrats avec certains éditeurs.) Il s'agissait d'une sorte de Maccarthysme à l'envers comme aujourd'hui en France où l'artiste susceptible d'avoir des idées libérales est boycotté, très peu invité sur les plateaux-télé ou dans les colonnes des journaux.
 Il y a une exception notable, mondiale, actuelle  : Mario Vargas Llosa qui est aussi sur une liste noire, celle du Nobel de la littérature qu'il aurait du avoir depuis longtemps mais il a pris position vigoureusement pour un libéralisme au sens plein du terme (y compris économique) et il n'a, par exemple, cessé de dire à quel point il admirait Margaret Thatcher ainsi que Hayek ! C'est le seul écrivain d'envergure mondiale qui ose faire cela.Et il ne cesse de continuer à s'engager : il y a peu de temps, au Chili,  il a pris position en faveur du nouveau président libéral. Mais son cas est analogue à celui des autres : il ne développe pas ses idées libérales dans ses romans. Une seule exception : "Les cahiers de don Rigoberto" (1997) où Vargas Llosa dit le plus grand bien de la souveraineté individuelle telle que l'a enseignée Ayn Rand.

B/ Après ce très court recensement, j'ai une question qui me vient à l'esprit et que je vous pose aussi :


 Comment se fait-il que dans le polar ou la science-fiction, il n'y ait pratiquement rien qui exprime un point de vue libéral? Le néo-polar est totalement gauchiste en France. La science-fiction, quand elle aborde ces thèmes, dépeint une humanité ravagée par un environnement détruit par un capitalisme nocif.
 Ce qu'il faudrait essayer de savoir c'est s'il y a eu des auteurs dont les manuscrits ont été refusés et alors comment se fait-il que tous les éditeurs aient tout bloqué et que rien n'ait réussi à transparaître, ou bien -et si c'est le cas, ça pose un sérieux problème- est-ce que les gens d'orientation ou de sympathie libérale, sont fâchés eux-mêmes avec la fiction ou la littérature : ce serait moins "noble" pour eux que l'économie ou le fait de devenir trader etc... Les libéraux devraient peut-être se remettre en question sur le propre responsabilité de l'absence de littérature "libérale". Il n'y a que les idéologues totalitaires qui refusent l'introspection personnelle. Qu'est-ce qui se passe dans le libéralisme pour qu'il s'attire autant d'hostilité du monde littéraire ou artistique et comment se fait-il qu'il y en ait une si totale absence ?

 Deuxième partie de la conférence : échange :

 Quelques noms d'écrivains proposés, écrivains qui prônent peu ou prou les idées libérales : Robert Heinlein qui a écrit "Révolte sur la lune". C'est un auteur qui est cité régulièrement comme "libertarien". Il a développé la notion que rien n'est gratuit.

 A/ Objection de Philippe Nemo : la différence conceptuelle entre liberté et libéralisme donne à penser que la littérature se base sur la liberté mais pas sur le libéralisme.

 Avant de citer des noms, il faut considérer tout ceci sur un plan conceptuel : la littérature et l'Art de façon générale sont très peu conceptuels et donc échappent à l'idéologie, quel qu'elle soit.Plus on va vers le grand art, plus on s'éloigne de l'idéologie.Les romans qui passent pour être "de gauche" sont maintenant des romans très datés, il n'en reste rien aujourd'hui... Et les œuvres qui restent, si on les considère honnêtement proposent une vision de la vie, des personnages, des situations et tout cela n'est pas aligné sur une thèse. La littérature, et pas seulement française, est remplie d'aventures de la liberté !
 Sous cet angle, les grands romans de Balzac : "Un médecin de campagne" est un hymne à la construction  et au développement économique, à  la médecine, aux paysans qui font des innovations en agriculture, etc... Sous cet aspect là, Robinson Crusoé,  Jacques le fataliste de Diderot, par exemple, sont des histoires d'hommes libres... qui ne demandent à aucun centre de sécurité sociale l'autorisation de prendre telle ou telle décision pour leur vie... Cela remonte à l'antiquité, le "Satiricon", les romans grecs ou latins sont entièrement libéraux... La littérature du Moyen-Age, Chrétien de Troie, les chansons de gestes sont pleines d'hommes absolument libres qui prennent leurs décisions d'un moment à l'autre en fonctions de valeurs qui sont les leurs et sans adhérer à l'avis d'un Parti. Puis il y a toute la grande littérature de voyages : Colomb, Cortes, Tavernier, Chardin, René Caillié, tout cela est rempli d'histoire d'hommes libres qui parcourent le monde...

 B/ Réponse d'Alain Laurent à l'objection :

 Mais on n'a pas du tout la même définition du libéralisme. Ou alors, il y a une telle extension du terme libéral que cela ne veut plus rien dire...
 PN : L'erreur est de vouloir faire en sorte que l'art soit libéral au sens du libéralisme. La littérature décrit l'homme, la société, la vie et il y a une immense richesse dans la littérature qui décrit des hommes libres.
 AL : on ne peut pas dire que le libéralisme accueille, comme son monopole, tout ce qui célèbre la liberté.
PN : non en effet mais pourquoi un tel projet ? Nous sommes libéraux non en tant que membres d'un parti mais nous sommes libéraux parce que nous aimons la liberté et parce que nous pensons que la liberté est dans la nature humaine. Sans forger un monopole sur la littérature, nous pouvons nous reconnaître dans cette littérature et prendre cette littérature comme la nôtre et comme ayant forgé pendant des siècles -vous parlez des français qui ne sont pas libéraux, moi je pense qu'ils le sont. Ils sont opprimés en ce moment mais ils le sont dans leurs fibres et parce qu'ils ont été formés par cette littérature. Si on lit Giono, par exemple, on se rend compte combien Giono respire la liberté... Bien que libéral, AL, tu ne te sembles pas apparenté à toute cette littérature de la liberté.
 AL : oui en effet, cela n'a rien à voir avec le libéralisme. Autrement dit, les libéraux n'ont pas le monopole de l'amour de la liberté, donc tout ce qui est liberté n'est pas forcément libéral ou alors on a un concept tellement vague, tellement général que ça ne veut plus rien dire... Je demeure fidèle à Bergson qui disait qu'un concept qui veut tout dire ne veut plus rien dire. Tout ce qui est liberté est libéral : on répète l'opération des marxistes qui s'efforçait de démontrer que Racine était un marxiste sans le savoir, etc... Je n'aime pas du tout ces opérations de récupération et je reviens à cette définition plus précise du libéralisme au sens plein du terme où on adhère à la liberté économique ou au minimum on se garde de la fustiger de façon primaire comme c'est si souvent le cas et à ce moment là on aboutit à mon diagnostique beaucoup plus limité. Giono, j'ai beau le relire, je l'aime beaucoup, je dois avouer que pas une seule nanoseconde, dans mon esprit, je me suis dit que j'étais entrain de lire un libéral.
 PN : Mais il n'est pas non plus un socialiste ! Il y a une erreur conceptuelle : le libéralisme est ou bien une philosophie, ou bien une doctrine politique, ou bien une doctrine économique, ou bien aussi une doctrine épistémologique. Il n'y a aucune raison qu'il y ait une littérature pour ces doctrines ! C'est comme si l'on disait qu'il faut une littérature pour la théorie de la relativité d'Einstein ! Une théorie économique n'a nul besoin d'une littérature qui l'illustre si ce n'est de façon artificielle ou instrumentale. Ou alors on prend le libéralisme comme philosophie et il est ainsi légitime d'y intégrer toute l'histoire de l'humanité, tous les arts humains et dans ces arts humains, il y a des littératures amoureuses de la liberté et la littérature française est très largement majoritaire dans ce cas.
 Le libéralisme n'est pas une utopie (l'utopie demeure quelque chose de dangereux) selon moi mais une doctrine scientifique qui explique certains aspects du développement humain depuis l'âge des cavernes, l'âge tribal jusqu'à l'âge où on ira sur Mars. c'est une théorie et non une utopie.
 Alors l'utopie, qu'entend-on par là ? : Il faut un idéal dans la vie, selon moi l'idéal n'est pas libertarien puisque je suis chrétien. Donc ce qu'il faut viser, c'est le Royaume de Dieu  tout en sachant que l'on ne l'obtiendra pas sur terre...Et donc je ne confonds pas les plans. Il y a une théorie, et des camps politiques et je trouve mauvais que des arts soient dans un camp.
 AL : Ayn Rand a écrit ce qu'on appelle un roman militant où elle donne toute la place à sa théorie; Cependant elle met en place des personnages qui ont certes une certaine profondeur mais qui sont au service de la cause intellectuelle qu'elle défend.
Il y a des communistes qui ont fait de très beaux livres militants : Aragon, Vaillant... Il ont servi leur cause de façon remarquable.
 PN : pourquoi faut-il absolument qu'il y ait une littérature libérale ?
 AL : il ne s'agit pas de cela ! J'ai dit qu'il n'y avait pas d'écrivains, qui dans leurs œuvres de fiction, font passer des thèmes ou illustrent un enseignement de type libéral au sens plein du terme. Je constate qu'il y a peu d'écrivains qui défendent une vision libérale dans leurs romans. Et encore, pour Vargas Llosa c'est très limité : il ne défend guère dans ses romans cette vision libérale mais exalte la liberté. Autrement dit : il n'y a pas de libéralisme sans liberté mais tout ce qui est liberté n'est pas forcément libéral. La réciproque ne vaut pas.

 [ questions annexes :
 -Il y a cependant peu de héros entrepreneurs mis en scène aujourd'hui. Il y a une littérature qui dégouline de socialisme...
 - Pourrait-on dire qu'il peut y avoir une lecture "libérale" de certaines œuvres? ]

 C/ Question : où se situe alors la limite entre libéralisme et liberté?

AL : il y a des romans féministes qui exaltent la liberté de l'individu. Mais ces romans ne sont pas l'apanage des libéraux : il y a des anarchistes, des individualistes a-politique et on ne peut ranger tout ce monde-là sous l'étiquette du libéralisme. C'est là qu'il y a une confusion conceptuelle de mon point de vue. Vargas Llosa exalte la liberté de l'individu dans ses œuvres de fiction mais c'est hors libéralisme, hors socialisme, hors tout cela... Ce qui me gêne beaucoup, dans ce qu'a dit PN, c'est que tout ce qui est favorable à la liberté serait absorbé dans la notion de libéralisme.
 [Question : vous, AL, partez de l'auteur alors que PN part de l'œuvre ce qui est plus pertinent car il est très très rare de savoir ce qu'un auteur voulait véritablement dire.]
AL :  l'angle au départ est précis : il s'agit de montrer qu' un auteur qui a des engagements libéraux et que ceux-ci ne se manifestent pas dans ses romans.

 PN : il y a une dissymétrie entre les socialistes et les libéraux par rapport à cette question : comme les socialistes sont socialistes, tout le monde s'y met, le cinéma, la littérature, la télévision etc... Il s'agit de mener une utopie. Alors que les libéraux ayant le sens de la liberté, la première des libertés est celle de penser; ils n'ont pas le réflexe d'enrôler quiconque à commencer par eux-mêmes dans un combat qui va au delà de la vérité artistique elle-même. Quand on écrit un roman, c'est pour raconter un destin humain, un drame, un entrecroisement de situations... Ce qui n'empêche pas d'ailleurs de mettre dans la bouche de certains personnages des convictions personnelles. Mais ceci reste de l'ordre de dispositions à l'intérieur du roman. Le roman lui-même est une certaine vision et cette vision, pour qu'elle soit vraie, profonde, ne doit pas être prédéterminée par une thèse. Ou alors, c'est ce qu'on appelle un roman à thèse. Et les romans à thèse sont appréciés par les socialistes car leur problème n'est pas la beauté mais leur combat alors que ça n'est pas le cas pour les libéraux. Et il ne s'agit nullement d'un impérialisme de la part des libéraux... dans le grand art produit par l'Occident, il y a un message implicite qui est celui de la liberté. En tant que philosophe, je m'intéresse à l'idée de liberté, à la liberté comme valeur et j'inclus ainsi tous les gens qui ont eu la liberté comme modèle ou qui ont eu des comportement d'hommes libres et inversement je soupçonne que ceux qui condamnent le libéralisme (et là sur un plan politique) n'aiment pas la liberté. Ou alors ils l'aiment comme le héros des Possédés de Dostoïevski : il fait un plan pour la libération de l'humanité mais il demande un délai avant d'exposer son plan parce qu'il se rend compte, à l'étape du raisonnement où il est, il faut d'abord qu'il réduise en esclavage les 99% de cette humanité pour la libérer! Il y a quelque chose qui cloche : libérer l'humanité passe par le socialisme mais le socialisme c'est l'esclavage... Pour résumer, Il faut se ficher des partis politiques.

 AL : la différence entre socialistes et libéraux quant à un engagement militant : il est certain que les personnes d'orientation libérale, sont beaucoup moins enclins à avoir une vision militante du monde et par conséquent ont moins envie à faire passer quelque chose qui reflèterait leur idées dans une fiction. Ceux qui se manifestent comme libéraux (c'est à dire qui pour le moins adhèrent au libre-marché, ce qui fait parti de l'ADN du libéral). Alors pourquoi les gauchistes ont-ils beaucoup plus tendance à vouloir illustrer leur propos... Comment se fait-il, à ma connaissance, qu'il n'y ait pas un auteur qui sans vouloir défendre un parti politique, par exemple, mettrait en scène un entrepreneur harcelé par l' Urssaf ? Même problème dans la chanson et le cinéma. Un film sur Wall Street fait quasiment l'ouverture du festival de Cannes.

  Troisième partie de la conférence :

 A/ Pistes :


 - les défauts du socialisme sont toujours systématiquement présentés comme les défauts du libéralisme.

- Autre piste par Maxime Zjelinski : y a t-il un lien entre le support (le roman, la littérature) et les idées libérales? Est-ce que ce support se prête mieux aux idées socialistes? Dans un roman, je ne vais pas mettre l'histoire d'un banquier mais l'histoire d'un pauvre qui se fait tabasser, je ne vais pas mettre l'histoire d'un avocat qui défendra une multinationale.. Les idées libérales sont plus complexes à mettre en scène, les idées socialistes sont plus dans l'action! Les idées libérales ne sont pas du tout romantiques...Le roman exige tout de suite une intrigue, une début et une fin.Les idées libérales nécessitent sans doute plus de talent car elles sont plus subtiles. Il est facile d'écrire une chanson d'amour, il est plus difficile de prôner les joies d'un dimanche en famille...
 Autrement dit : Le monde qu'aime le libéral - je parle bien sûr du libéral cohérent, pas de celui qui dans le libéralisme ne recherche que l'ivresse du slogan et la violence de l'insurrection, mais dont on n'entend plus parler ensuite - est un monde d'une incroyable banalité (je dis cela sans mépris), un monde anonyme, où chacun, à sa manière et sans bruit, apporte sa pierre à une édifice dont personne n'a fait le plan. Ce monde là, par définition, ce n'est pas un monde de scandales et d'événements où un seul homme incarne l'aspiration profonde des multitudes. Ce n'est pas un monde passionnant pour qui cherche avant tout "l'intrigue", le "suspense". On est loin du Da Vinci Code ou du roman policier, dont la structure guide non seulement le lecteur mais également l'auteur, palliant ainsi l'éventuelle pauvreté de son inspiration. Par conséquent, il y a peut-être un lien entre la structure du roman ordinaire et la dimension vaguement contestataire des idées "de gauche". Pour aller contre cette tendance et rendre intéressante des histoires qui a première vue ne le sont pas, il faudrait du talent.

  AL : des thèmes libéraux porteurs, il y en a pourtant.... Mais sont-ils devenus si impopulaires du fait de l'esprit collectiviste qui règne ? Y aurait-il une auto-censure de la part des libéraux.
 A propos de Gramsci dont la thèse principale est que pour faire avancer le socialisme il faut confisquer tout l'appareil culturel et c'est ce qui est arrivé : quand on est de droite libérale, on ne peut pas faire un film, une chanson, on ne peut pas publier...

 - Autre piste par Roman Bernard : Il n'y a pas qu'une opposition entre socialistes et libéraux, il s'agit plutôt d'un match à trois avec les conservateurs en plus. Dans "Suicide of the West" deJames Burnham, il y a un passage dans le 7ème chapitre où il ironise sur le fait que les grands écrivains sont des anti-libéraux au sens anglo-saxon donc des anti-gauchistes, anti-socialistes. En relisant ce passage, je me suis demandé, puisqu'on parlait du rationalisme des libéraux et surtout leur économisme : en France ils sont presque tous économistes et pas écrivains, je me demande s'il n'y a pas un défaut d'enracinement, dans la culture, l'identité, la langue (je ne parle pas de la religion mais ça pourrait aussi s'y prêter). Finalement, à partir du moment où l'on n'est pas attaché à quelque chose de charnel comme peut l'être un patrie ou une identité, comment peut-on faire un roman qui est forcément quelque part enraciné : il y a des descriptions de paysages, est-ce que un économiste est le mieux formé pour décrire un paysage comme peut le faire un écrivain de gauche, socialiste ou réactionnaire comme Balzac. (On a parlé de Balzac dans la tradition de la liberté : "Les illusions perdues" est un ouvrage plutôt réactionnaire et pas libéral) Il s'agit d'une vraie question car c'est aussi une question politique : pourquoi, en politique, les libéraux, ne réussissent-ils pas à percer ? Parce qu'ils n'aiment pas, en France, la France! (c'est mon constat avec des partis ridicules comme Alternative Libérale ou le Parti Libéral Démocrate) Cela peut expliquer un échec sur le plan artistique : quand on n'aime pas un pays, pourquoi le décrirait-on, pourquoi exalterait-on sa langue, alors qu'en fait, on parle surtout d'économie... Il n'y a pas cet attachement à quelque chose d'incarné.

 AL : il est exact que l'on trouve plus facilement des écrivains conservateurs que libéraux : exemple : Jean Raspail. Mais les libéraux qui n'aiment pas la France ? je pense qu'ils n'aiment pas la France telle qu'elle a été transformée par des décennies de collectivisme. Et je ne vois pas en quoi les gens de gauche manifesteraient plus d'enracinement?
 RB : non, les gens de gauche ne sont pas plus enracinés (ils sont dans l'utopie !) mais je pense que les seuls qui pourraient contrecarrer cette utopie seraient des gens attachés à quelque chose de concret et pas seulement au ciel des idées. C'est pourquoi seuls les conservateurs ou les réactionnaires ont réussi à produire quelque chose qui puisse contredire cette vision : vous parliez de John Ford et John Wayne : ils étaient plus conservateurs que libéraux. Il y a aussi aujourd'hui Clint Eastwood.

 - Une question  : il y a davantage d'écrivains anti-socialistes que vraiment pro-libéraux, exemple : Flaubert ou Soljenitsyne. Ils critiquent violemment le socialisme mais ne vont jamais jusqu'à la propagande libérale. Est-ce que l'idéologie ou la politique n'ont rien à voir avec la littérature ou, pour le dire autrement, pourquoi s'arrêtent-ils simplement à la critique du socialisme ?
[Une réponse : ils ne sont pas anti-libéraux mais pour la liberté.]
 AL : les écrivains russes (Dostoïevski, Tolstoï) sont des passionnés de la liberté mais pas libéraux.

B/ Ajouts de noms d'artistes qui seraient en faveur peu ou prou d'un libéralisme plénier dans leurs œuvres :


 -Deux autres noms : un américain : Breat Easton Ellis, auteur de "American Psycho" avec la mise en scène d'un monde de traders (tueurs en série) et une BD française : "SOS bonheur"
 - Autre nom : James A  Michener ou l'on retrouve dans ses romans la dimension très héroïque de ceux qui fuient l'oppression et cherchent la liberté religieuse, politique...Les valeurs de responsabilité, de défense de sa vie, de ses biens etc... Il y a vraiment des valeurs (vertus d'héroïsme, de courage, d'indépendance) qui pourraient être exaltées dans une littérature.
 - AL : Camus, qui, incontestablement a la passion de la liberté ne peut être classé libéral, personne ne songerait à le faire.Ces tendances étaient tout à fait socialistes. Autre exemple, la série suédoise "Millénium" où l'auteur passe au vitriol le monde capitalisme, les grandes entreprises et on est tenté de généraliser en se disant : "tout ce monde de la finance, de l'entreprise ne peut être que pourri. Et l'auteur est un gauchiste à l'état pur. Voilà un cas-type : un livre bien écrit, universel, très grand public et qui repose sur la pourriture des possédants :  le "pourri qui vient de l'est provient d'une Russie qui se décompose c'est à dire qui est pervertie par le capitalisme.
 - PN : cependant, tous les derniers grands succès au cinéma ( Amélie Poulain, Les choristes, Bienvenue chez les Ch'tis ) sont des thèmes anti socialistes. La question de RB est donc juste : pourquoi n'y en a t-il pas plus ? La littérature propose une vision complète de l'homme mais le libéralisme est une doctrine politique, une doctrine économique et nous attendons toujours autre chose. Comment nourrir avec Adam Smith, Constant ou Hayek une vision entière?
 AL : par la révolte, le refus de l'ordre étatique établi.

- Autre ajout: les séries télé américaines : NCYS et Mad Men : le personnage principal tend le livre Atlas Shrugged à l'un de ses partenaires.

 Conclusion

Le vrai combat politique se mène sur le plan culturel : c'était la grande idée de Gramsci. Aujourd'hui, au XXIème siècle, on est dans une culture de masse et la faiblesse des libéraux est de se cantonner au domaine économique alors qu'ils devraient investir le terrain philosophique, sociologique, médiatique et aussi artistique c'est à dire le terrain de la culture. Et tant que ce terrain-là ne sera pas investi, le combat sera perdu; la création de partis politiques n'y changera rien
AL : oui, avec une précaution : on ne pourra jamais réduire la culture à tout cela, il faut toujours que d'autres domaines de la culture échappent à la politique, surtout dans un pays comme la France. Une bonne façon de faire passer les idées, c'est la création artistique. Tant qu'il n'y aura pas une révolution qui ne peut venir que de la diffusion des idées, je suis personnellement convaincu que tout le reste est inutile. Il faut un terrain favorable.

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