vendredi 24 septembre 2010

Notes de conférence sur Michel Houellebecq


Le jansénisme de Michel Houellebcq notes d'une conférence de l'abbé de Tanoüarn


Je précise bien que ce sont ici des notes personnelles avec les imprécisions et les erreurs possibles dans ce genre d'exercice.
 
De quoi est-il question dans les livres de M H ? De sexe. La matière apparaît dès les premiers romans comme largement sexuelle mais ce serait une grossière erreur de penser que MH parle de sexe. Il parle de la vie, de la mort, de l’amour, fondamentalement.
Le but d’un romancier n’est pas forcément d’être à la mode mais d’être vrai. Le roman est une quête de vérité. Alors, certes, nous trouvons dans le dernier Houellebecq de larges notices de Wikipédia, par exemple : mais c’est parce que cela fait partie de la vie ! Si un romancier ne cherche pas la vérité de la condition humaine, il n’est pas un vrai romancier.
« Nous nous sentons vivants en butinant la vie » dixit à peu près Lovecraft. MH n’apparaît pas en accord avec celui qui fut l’un de ses principaux maîtres en littérature. MH  ne « butine » pas dans la vie. Pour ce dernier, la vie procure « une légère sensation d’écœurement » et il cherche à aller au-delà de la vie, dans une quête « méta-physique », justement car « l’accès artistique est réservé à ceux qui en ont marre ». Le roman cherche une vérité au-delà de la réalité, c'est-à-dire une solution au conflit, au nœud que représente cette vie.

Alors pourquoi parler du Jansénisme de MH ? Plusieurs pistes :
En lisant La carte et le territoire, on peut être frappé par une forme de Jansénisme assez… positif.
MH a assimilé Pascal, profondément. Par exemple, ce vers de MH (car H. est avant tout un poète) : « Pascal avait son gouffre avec lui se mouvant ». Ce vers qui est antérieur au roman témoigne de l’admiration de MH pour Pascal.
Aurélien Bellanger, qui a écrit un ouvrage sur Houellebecq,  Houellebecq écrivain romantique  (aux éditions Léo Scheer) explique : « Les sommets jansénistes de l’art de la peur, Houellebecq les a connus en discothèque. »
Enfin, dans  Rester vivant , MH écrit : « l’univers est une souffrance déployée ». Or, pour les jansénistes, le monde n’est pas bon, la nature humaine est mauvaise, la chair n’est pas bonne, la vie se gagne, il faut s’en méfier au départ, c’est n’est pas forcément un cadeau. Il faut avoir conscience de la puissance du mal et tout ceci, c’est une sensation qu’éprouve profondément l’écrivain MH.
Mais ce Jansénisme qui transparaît au travers de toute l’œuvre de MH est tout de même assez paradoxal. En effet, il y a une grande banalisation de la chair dans l’œuvre du romancier, dans sa forme, mais l’écrivain demeure intransigeant quant au fond. Les troubles de la chair, largement traités dans les livres, ne mènent, au fond, qu’à la mort. Les hommes ne sont que des êtres de chair et rien que cela. Ainsi, dans La possibilité d’une île, Isabelle n’est plus rien à la fin, puisqu’elle  n’a plus de corps, celui-ci se détruit peu à peu.
Il s’agit, d’une certaine façon d’un Jansénisme militant. Toujours, dans La possibilité d’une île (p. 37), il y a une critique de MH sur le monde d’aujourd’hui. Isabelle dirige un journal nommé Lolita. Son but est de créer « une humanité factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au sérieux ni à l’humour, qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus désespérée du fun et du sexe ; une génération de kids définitifs. » Isabelle est lucide, c’est une sorte de « pratiquante non croyante ». 
Le désir est une expérience destructrice, il faut donc s’en débarrasser. Le désir est diabolisé. Au-delà du désir demeure l’amour. Mais MH a lu Schopenhauer et sa vision pessimiste de l’homme. L’amour aussi est un jeu de dupes. Il n’y a que les chiens (très présents dans les romans de MH) qui arrivent à aimer. On peut d’ailleurs, à ce propos, se demander jusqu’à quel point MH s’est inspiré de Céline : « L’amour c’est l’infini à la portée des caniches. »

MH a ainsi noué bien fortement le nœud de la vie. Comment le dénouer ? Simplement en le tranchant. Plusieurs possibilités ou « solutions » émergent chez l’écrivain au travers de ses ouvrages.

Première possibilité : la solution par Lovecraft. MH explique comment on peut aimer l’horreur. Lire ou visionner un livre ou film d’horreur rassure ou conforte les âmes lasses ou désabusées de la vie. Finalement, il y a pire ailleurs… et c’est réconfortant pour soi.
Deuxième possibilité plus élaborée intellectuellement : on l’aborde par l’aspect « positiviste » de MH inspiré par Auguste Comte. Il faut une organisation sociale qui rende la jouissance possible, le désir accessible et non chaotique. Il faut donc soutenir une forme de religion positive qui engendre la formation d’un certain ordre dans la société qui rende la vie supportable et qui ordonne le désir, le rend moins puissant. La religion est la matrice de l’ordre. On retrouve ici un goût de l’écrivain pour un aspect identitaire de la religion.(1)
Troisième possibilité : le réel, nous l’avons constaté, est suspect. Il faut que l’homme se déréalise. Il s’abstrait de sa propre vie pour cesser de souffrir ; cf. La possibilité d’une île : Daniel 1 est un homme normal qui souffre, Daniel 24 n’est plus tout à fait réel, il ne souffre pas, il n’a plus de sexualité… C’est un être évolué par rapport aux hordes d’humains qui peuplent encore la campagne et qui vivent comme des bêtes. La vie est de plus en plus virtualisée (comme dans Second Life, par exemple). La vie éternelle devient une sorte de vie abstraite, la vie devient une sorte d’écho lointain. Un philosophe a évoqué ce phénomène et sans doute inspiré MH, c’est Malebranche avec son « espace intelligible ».
Quatrième possibilité : le christianisme. Mais rien ne dit vraiment si cette solution est réellement envisagée par MH lui-même. Il y a des indices, nombreux, dans ses livres (et en particulier dans le dernier roman La carte et le territoire où le Houellebecq, mis en scène par l’écrivain MH est baptisé discrètement peu de temps avant sa mort) pour penser que ce dernier s’intéresse, est attiré par cette possibilité mais certainement pas des certitudes. Auparavant, dans La possibilité d’une île, une extraordinaire critique de Theillard de Chardin où le narrateur conclut au sérieux de certains penseurs comme Pascal par rapport à la vacuité d’autres comme Theillard justement. Et p. 60, cette citation : « … mais au delà, réactualisant l’enseignement de saint Paul selon lequel toute autorité vient de dieu, je m’élevais parfois jusqu’à une méditation sombre qui n’était pas sans rappeler l’apologétique chrétienne. » MH chez Michel Field, il y a quelques jours expliquait que l’Église avait pratiqué « l’in-errance » artistique. Elle avait été un mécène extraordinaire, sans se tromper ; on découvre chez MH un christianisme Artistique, Paulinien, Pascalien (mais certainement pas Theillardin). Ce christianisme Houellebecquien qui s’appuie sur une identité ou sur le rite est très présent dans La carte et le territoire.

 Il y a aussi dans ce roman l’idée d’un moment favorable qu’il faut saisir, quelque chose qui est donné dans la vie comme… la grâce. P. 251, cette citation magnifique et révélatrice : « …la vie vous offre une chance parfois se dit-il mais lorsqu’on est trop lâche ou trop indécis pour la saisir la vie reprend ses cartes, il y a un moment pour faire les choses et pour entrer dans un bonheur possible, ce moment dure quelques jours, parfois quelques semaines ou même quelques mois mais il ne se produit qu’une seule fois et une seule, et si l’on veut y revenir plus tard c’est tout simplement impossible, il n’y a pas de place pour l’enthousiasme, la croyance et la foi, demeure une résignation douce, une pitié réciproque et attristée, la sensation inutile et juste que quelque chose aurait pu avoir lieu, qu’on s’est simplement montré indigne du don qui vous avait été fait. »

Conclusion : dans un article de la revue Perpendiculaires de 1998, MH explique qu’il a définitivement rompu avec le Tragique pour se lier au Romantisme. Le Romantisme, cohabitation entre les sciences et la spiritualité (selon Philippe Muray) et sacre de l’écrivain. Nous pouvons nous demander cependant si dans les prochains romans, MH ne va pas imaginer une vraie lutte contre la puissance du mal, donc un retour à la Tragédie et l’abandon de ces possibilités éphémères. Dans La carte et le territoire, l’assassin  de Houellebecq est un tueur qui se prend pour Dieu. Il y a une issue très Dostoïevskienne. L’expérience du mal, c’est aussi l’expérience du bien. A travers le péché on peut faire l’expérience de la Grâce.(2)


Notes : 
Deux citations prises dans Ennemis Publics qui appuient certaines réflexions de cette conférence : 
1/ "Malgré tout cela, Comte, j'y insiste, a échoué; il a radicalement et lamentablement échoué.
Une religion sans Dieu est peut-être possible (ou une philosophie, si vous préférez; enfin quelque chose qui draine après soi, comme autant de corollaires agréables, une éthique, une sensation de la "dignité humaine", voire une théorie politique si aff.). Mais rien de tout cela ne me paraît envisageable sans une croyance à la vie éternelle; cette croyance qui constitue, pour toutes les religions monothéistes, un fantastique produit d'appel; parce qu'une fois cela admis, tout paraît possible; et qu'aucun sacrifice ne paraît, au regard d'un tel objectif, trop lourd -cf. les kamikases islamistes.
Comte ne proposait rien de ce genre; il proposait une survie théorique dans la mémoire des hommes. Il donnait à la chose un tour plus ronflant, genre "incorporation au Grand-Être", il n'empêche que c'est bien cela dont il s'agissait : une survie théorique dans la mémoire des hommes. Eh bien cela n'a pas suffit.
La survie théorique dans la mémoire des hommes, tout le monde s'en fout (et même moi, qui écris des livres)..."( P. 178) 

2/ "Ce qui est en jeu, c'est la reconnaissance qu'un mal a été commis dans le monde; et que, d'anneau en anneau, il continue de dérouler ses conséquences. C'est la reconnaissance, aussi, que ce mal est définitif; que rien de ce qui a été commis ne pourra être défait. C'est la reconnaissance, enfin, que ce mal est limité; c'est la transformation d'un mal indéfini, ignoble, en un mal restreint, défini dans l'espace et le temps. C'est une tentative d'interruption du déroulement des chaînes causales; de la reproduction sans fin du malheur et du mal.
Certains vont plus loin, et tentent de prendre appui sur ce mal pour se construire; ils font de leur géniteur indigne un absolu contre-modèle. Certains vont vraiment loin, et je sais que ma sœur (j'espère qu'elle me pardonnera de la citer) est allée jusqu'à refuser de travailler, pour se consacrer à sa seule vocation de mère de famille; et je sais qu'elle y est parvenue. Une sur mille, peut-être, y serait parvenue, mais il n'y a pas de fatalité. On peut briser la chaîne de la souffrance et du mal."
(P. 207-208, éditions Flammarion Grasset)

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