Déjà connu en France par son histoire du fascisme européen, l'historien allemand Ernst Nolte déclencha un concert de clabauderies outre-Rhin lorsqu'il publia en 1987, sa Guerre civile européenne, 1917-1945. Pourquoi ce raffut idéologique, connu sous le nom de "querelle des historiens", qui donna naissance à une trentaine d'ouvrages et à plus de douze cents articles?
Il tient à l'originalité même qu'il existe un "nœud causal" entre la révolution bolchévique et l'émergence des fascismes à l'Ouest. En effet, le communisme ne se borne pas à instaurer la guerre civile permanente en Russie même. Il la déclare à toute l'Europe. A peine finie la Première Guerre mondiale entre les Etats, Lénine exporte la guerre entre les classes dans plusieurs pays européens, où les partis communistes, récemment créés, jouent le rôle de corps expéditionnaires de la révolution bolchévique.
Cela donne, en 1919, la république des Conseils de Bela Kun en Hongrie; c'est le mouvement Spartakus en Allemagne, dont l'échec n'empêcha pas le PC allemand de croître en puissance durant les années vingt. En France, la scission de Tours, en 1920, sépare les socialistes résolus à rester autonomes de ceux qui se transforment en soldats volontaires de Moscou.
A l'origine de la montée des fascistes en Italie, puis des nazis en Allemagne, on trouve un réquisitoire contre le parlementarisme démocratique, jugé trop faible pour barrer la route aux partis communistes, désormais fers de lance de l'URSS. Le facisme et le nazisme naquirent comme des contre-feux au léninisme, mais - et c'est là tout le paradoxe- ils en copièrent les méthodes pour mieux le refouler. Les trois totalitarismes eurent en commun leur haine du libéralisme, leur instauration d'un Etat omnipotent incarné par un chef unique et sacralisé, leur organisation de la répression policière et culturelle enfin leur logique exterminatrice, surtout les nazis et les communistes. François Furet, qui en citant Nolte dans son Passé d'une illusion, en 1995, contribua opportunément à lui faire franchir le barrage de la police intellectuelle française, montre que le communisme fut pour le nazisme à la fois la cible à détruire et le modèle à imiter, en ce sens que Lénine avait légitimé "la violence pure érigée en système de gouvernement". François Furet poursuit : "Issus du même événement, la Première Guerre mondiale, les deux grands mouvements idéologiques de l'époque se définissent largement l'un par rapport à l'autre... La relation dialectique entre communisme et facisme est au centre des tragédies du siècle."
La mutuelle hostilité des deux totalitarismes était donc ambiguë dans l'œuf. Elle se doublait d'une complicité qui aboutit en bonne logique au pacte germano-soviétique de 1939. Elle les rapprochait dans une commune volonté d'anéantir la liberté, programme dont héritèrent plus tard Mao, Kim II Sung, Ho Chi Minh, Castro ou Pol Pot, tous sosies de Lénine et de Staline.
A partir de 1945 et de l'élimination du nazisme, le communisme se répand dans le monde et, en même temps, se retrouve en tête à tête avec la démocratie, son seul véritable ennemi de toujours. A la guerre civile européenne succède ce que Nolte appelle la guerre idéologique mondiale, dont il situe le point final en 1991, année où se désagrège l'Union soviétique. Mais nous voyons bien que cette guerre idéologique dure encore aujourd'hui, quoique dans le vide. Faute du "socialisme réel", parti dans les "poubelles de l'histoire", elle est désormais privée de tout enjeu concret. Mais c'est précisément ce néant politique et pratique qui ouvre un nouveau champ libre à la pléthore idéologique.
Déjà au moment de la "querelle des historiens" contre Nolte, nombre d'intellectuels allemands prenaient parti pour le communisme au moment même où il était en train de disparaître. Comble de perspicacité, la mode était en RFA, à la fin de la décennie 1980-1990, de considérer la RDA comme le noyau d'une future Europe progressiste! Jürgens Habermas, en 1987, flétrissait chez Nolte une "philosophie de l'Otan, aux couleurs du nationalisme allemand". Cette perversité, selon Habermas, tendait à "déguiser l'Union soviétique en une puissance hostile". Deux ans plus tard, le vent des peuples soulevés avait balayé ces âneries sans toutefois en déconsidérer les auteurs qui, toujours sûrs d'eux et donneurs de leçons, n'en continuent pas moins aujourd'hui de pérorer.
Comparer entre eux les deux grands partis-Etats idéologiques du XXe siècle était encore jusqu'à tout récemment interdit et le demeure dans une large mesure. C'est pourquoi l'ouvrage de Nolte fut plus attaqué que lu. Or ce qui est vrai de tout livre sérieux l'est encore plus de celui-ci : l'analyse, le résumé, si scrupuleux soient-ils, ne peuvent remplacer la lecture intégrale. Elle est à conseiller, en l'espèce, d'autant plus vivement que La Guerre civile européenne est servi par une traduction d'une exceptionnelle qualité. A chaque page, on trouve sous la plume de Nolte la thèse et ce qui nuance la thèse.
C'est le cas, en particulier, pour la formule de Nolte la plus controversée, lorsqu'il parle de "noyau rationnel" de l'antisémitisme hitlérien. Elle permit aux "néo-antifascistes" de le traiter de révisionniste, injure qui, comme le dit Stéphane Courtois dans sa préface, ne déshonore que leurs auteurs. Nolte ne veut aucunement dire que l'antisémitisme nazi fut fondé en raison, encore moins justifié. Il veut dire que tout thème de propagande, pour avoir prise sur le réel, doit nécessairement rencontrer une aspiration dans les masses qu'il veut mobiliser. L'efficacité politique politique suppose toujours une certaine rationnalité, au sens de prise sur le réel.
Ainsi, le "noyau rationnel" du communisme, c'est qu'il faut exterminer tous les "ennemis de classe" potentiels. En 1918, Grigori Zinoviev déclare qu'à priori il faudra fusiller dix millions de Russes, soit un massacre des Koulaks : "Aucun d'entre eux n'était coupable de quoi que ce fût; mais ils appartenaient à une classe coupable de tout." La même année, Staline ordonne à Iejov de faire exécuter "non seulement les ennemis du peuple, mais les épouses des ennemis du peuple".
L'acte fondateur, le "code génétique" des deux totalitarismes est le crime de masse, dont les victimes sont désignées en fonction de ce qu'elles sont et non pas de ce qu'elles ont fait.
("La Guerre civile européenne, 1917-1945", par Ernst Nolte. National-socialisme et bolchévisme. Traduit de l'allemand par Jean-Marie Argelès, préface de Stéphane Courtois (Editions des Syrtes, 672 pages, 218 F)
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1 commentaire:
Excellent article de Revel. A mettre en paralèle avec cet entretien de Guy Sorman avec Nolte : http://www.philo5.com/Les%20vrais%20penseurs/14%20-%20Ernst%20Nolte.htm
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